Glacée dorée

par 1 mars 2019Art contemporain, Femmes sculptrices

Pour la première fois en Suisse romande, Joana Vasconcelos est présentée à la galerie Gowen Contemporary. Après un aperçu à art genève, nous étions impatients de découvrir la suite de l’exposition. Pensée de façon muséale, les œuvres de l’artiste portugaise s’épanouissent dans cet accrochage exceptionnel. On y retrouve toute son extravagance et sa générosité.

Comme à son habitude, Vasconcelos joue avec des matériaux issus de l’artisanat dans une symphonie de couleurs à la fois vives et douces. On retrouve ses célèbres animaux en céramique recouverts de dentelle en crochet fait main, une technique qu’affectionne particulièrement l’artiste car elle évoque aussi un travail domestique. Elle puise dans le savoir-faire traditionnel lusitanien mais s’inspire également des tâches quotidiennes des ménagères, allant du tricotage à la cuisine. On se souvient de Marilyn (2009), une paire d’escarpins géants composés d’une bonne centaine de casseroles.

Mais revenons aux sculptures d’animaux: elles donnent un second souffle aux moules de la manufacture de Rafael Bordalo Pinheiro. Ce sculpteur est au Portugal ce que les Lalannes sont aux Français, le bestiaire de ce premier faisant partie du paysage artistique du pays depuis le 19ème siècle. La dentelle habille l’animal d’une seconde peau, le sublimant tout en le dissimulant, ce qui ouvre un large champ d’interprétation sur des thèmes de société. Par exemple, cet habillage peut être perçu comme une prison pour l’animal, nous renvoyant à des thèmes tels que le poids des apparences. On peut aussi faire un rapprochement avec la protection des animaux, thème qui n’a jamais été autant d’actualité avec l’essor du véganisme ces dernières années.

Surnommée la Jeff Koons lisboète, Joana Vasconcelos n’hésite pas à sortir des sentiers battus en ce qui concerne le choix des matériaux pour ses sculptures. Il y a quelques années, l’artiste nous a surpris avec La fiancée (2005), un lustre monumental composé de 25’000 tampons périodiques. Comme son nom l’indique, ce dernier évoque la virginité par son blanc immaculé, mais aussi les tabous qui subsistent malheureusement encore autour du corps de la femme. Présenté pour la première fois à la Biennale de Venise en 2005, il est refusé lors de son exposition au château de Versailles en 2012. Néanmoins, Joana Vasconcelos reste pour l’instant la seule femme et la plus jeune artiste à avoir été exposée à Versailles.

Jane April, 2015
Collection of the artist/Courtesy Gowen Contemporary
© Unidade Infinita Projectos
Joana aime mélanger les nouvelles technologies aux arts décoratifs traditionnels. Au sous-sol de la galerie on découvre Gypsy (2015), une sculpture aérienne s’élançant d’un miroir illuminé de LED à un rythme doux et non linéaire. Ce tentacule aux airs psychédéliques fait partie de la série des Valkyries. Ses formes organiques évoquent les courbes d’une de ces déesses. Avec ces ampoules LED,  le passé et le présent se tutoient, créant un anachronisme à l’esthétique baroque sans pour autant en faire trop. Chacune des ces œuvres possède un jeu de matières très contrasté, que se soit au niveau de la colorimétrie ou de la texture. Ces créations sont à la fois extravagantes et harmonieuses. Elles s’adaptent à tous les environnements et illuminent les intérieurs, qu’il s’agisse d’un château ou d’une villa moderne.
Gipsy, 2015
Collection of the artist/Courtesy Gowen Contemporary
© Luís Vasconcelos/Courtesy Unidade Infinita Projectos
La mythologie est un élément important et récurrent dans le travail de l’artiste. Cette dernière s’intéresse particulièrement à la mythologie nordique et persane. Ishtar Gate (2016) est une autre œuvre marquante de l’exposition: ces deux pommeaux de douche disposés côte à côte déversent un flot d’eau qui les relient l’un à l’autre. Leurs formes rappellent deux amoureux qui prennent leur douche ensemble. Son nom fait référence à la porte d’Ishtar, l’une des huit portes de Babylone. On retrouve dans les couleurs une concordance avec ce monument. Petite anecdote en passant, la reconstitution de la porte d’Ishtar, actuellement exposée au musée de Pergame a d’abord été conservée pendant dix ans à l’université de Porto pour être ensuite assemblée à Berlin. Ishtar était la déesse de la fertilité, il n’y avait donc rien de plus naturel qu’elle soit symbolisée par l’eau, synonyme de vie dans cette région du monde désertique. Comme bien des déesses, Ishtar possède deux visages et peut se montrer dévastatrice.

Ishtar Gate est orné d’éléments urbains. On y trouve notamment des chaînes, rappelant quelque peu celles qui encerclent certains monuments historiques. Elles semblent représenter les liens qui subsistent entre deux personnes.

Ishtar Gate, 2016
Collection of the artist/Courtesy Gowen Contemporary
© Unidade Infinita Projectos
Magic Mint Tetris, 2015
Collection of the artist/Courtesy Gowen Contemporary
© Luís Vasconcelos/Courtesy Unidade Infinita Projectos
Mais ce qui est frappant, c’est l’utilisation de Viuvá Lamego (catelles traditionnelles portugaises) dans Magic Mint Tetris, Mistress, et Psyhedelic Furs (2015). Ici, l’artisanat traditionnel prend d’autres dimensions. Ces carreaux si ancrés dans le paysage des citadins se marient harmonieusement avec le crochet et les autres éléments textiles. Ils sont intégrés de façon ludique dans Magic Mint Tetris, où l’on est même projeté dans un monde virtuel. On retrouve ici un jeu entre le passé, le présent et le futur.

Au départ, le studio comptait trois personnes dont Joana. Aujourd’hui, il est composé de plus d’une cinquantaine de personnes qui recouvre un large spectre de corps de métier, allant de l’électricien à l’émailleur pour le Viuvá Lamego. Une équipe de spécialistes qui assiste Vasconcelos afin de réaliser des œuvres monumentales tout en en garantissant une finition parfaite.

Parmi les œuvres exposées chez Gowen Contemporary, on retrouve des tableaux dont la composition se matérialise en sculpture. Tels les expressionnistes abstraits, l’artiste joue avec les formes et les couleurs mais là, il ne s’agit pas de peinture mais de formes organiques en volume recouvertes d’un crochet opaque. Ces formes sortent littéralement de la toile. Elles sont une explosion de couleur. Un peu plus loin, on les retrouve orner un fauteuil. Ceci n’est pas sans rappeler les excroissances phalliques monochromes de Yayoi Kusama. Chez Joana, elles évoquent plutôt les forces de la nature, comme Swirl (2016) ou encore des coraux, Pink Champagne (2016). Le plus monumental est Gestalt (2017), avec ses trois mètres de larges, donnant l’impression de ne faire plus qu’un avec l’œuvre.

Dans cette série, elle travaille avec un médium féminin sur un courant qui était plutôt exploré par des hommes comme Pollock, Kline ou de Kooning.

Gestalt, 2017
Collection of the artist/Courtesy Gowen Contemporary
© Unidade Infinita Projectos
Nest 1, 2017
Collection of the artist/Courtesy Gowen Contemporary
© Unidade Infinita Projectos
Si Joana Vasconcelos se considère féministe, elle déclare ne pas souhaiter en faire un combat. Elle met tout simplement sa féminité et sa délicatesse au service de son art.

Exposition jusqu’au vendredi 27 avril 2019

Gowen Contemporary
Jean-Calvin 4
1205 Genève
Suisse

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