Post tenebras vanitas

par 3 octobre 2019Art contemporain, Photographie contemporaine

Dans une esthétique épurée, tout de rose poudré, les photographies de l’artiste Marta Zgierska sont à la fois belles et dérangeantes. Dans une certaine fragilité, elle explore la féminité et ses codes actuels de manière inattendue. Un regard à la fois complice et critique sur l’iconographie féminine du 21ème siècle.

Artificiel mais pas superficiel
Les clichés semblent irréels et pourraient presque faire penser à des images de synthèse. La perfection du grain de peau est accentuée par la finesse de l’impression sur le papier photo. Chaque portrait et partie de corps représenté appartient à l’artiste polonaise. Ces images résultent de longues performances où l’artiste a appliqué sur sa peau des matériaux tels que de la cire chaude, des masques de beauté, des tissus ou encore du plâtre. Il y a un un côté sacrificiel dans ces mises en scène, comme si elle visait à dénoncer le côté absurde de la recherche permanente de perfection, nous renvoyant ainsi aux origines de la phrase ”Il faut souffrir pour être belle”. On pense alors aux machines farfelues pour mincir, friser les cheveux, ou encore aux masques de tissus utilisés dans les instituts de beauté, à la limite de l’asphyxie pour la cliente.

Sans titre, série Post, 2014
Sans titre, Série Post, 2014
Sans titre, série Post, 2014

Post tenerbras lux
Marta Zgierska est avant tout connue pour sa série Post qui lui a permis de remporter le prix HSBC de la photographie 2016. Après un grave accident de voiture nécessitant plusieurs mois de physiothérapie et d’un suivi psychologique, l’artiste se sert de ce traumatisme pour créer des images représentant la fragilité, mais aussi la cicatrisation des blessures causées par ce malheur. Dans cette approche autobiographique, elle narre le récit de sa rémission. Un des clichés les plus saisissants est celui où l’on découvre le corps de l’artiste prisonnier d’un entremêlement de chaises, comme pour symboliser l’handicap physique causé par les multiples lésions. Une autre photo bouleversante est sans doute celle où elle est vêtue d’un manteau noir et où son visage est remplacé par celui d’un enfant au regard d’adulte. Souhaite-t-elle ainsi illustrer le sentiment, par l’incapacité de se mouvoir comme bon lui semble, d’être redevenue une enfant nécessitant une aide constante? Il s’agit là d’une projection du regard de l’artiste et des autres sur elle-même. Plus jeune, Marta a toujours été considérée et décrite comme une enfant parfaite. Avec son manteau trop ample, elle évoque le sentiment de porter de trop grandes responsabilités pour ses épaules.

Au sous sol, la série Drift reflète plutôt l’aspect psychique de sa réhabilitation, alors qu’elle était dans un coma artificiel. On découvre l’artiste qui essaie d’émerger d’un soleil, retenue par des draps tendus, soulignant sa silhouette. Elle en devient presque fantomatique. Le noir absorbe la lumière et la rend quasiment invisible. On la devine derrière le drapé. L’impression sur toile donne l’illusion que le tissu est palpable.

Série Drift

Afterbeauty VI, II et I, 2018

Masque de beauté
Dans la série Afterbeauty, des masques de beauté flottent sur un aplat de couleur, tels des totems. Ils sont le fruit d’une superposition de couches de cosmétiques, les rendant ainsi souples et épais. Cette accumulation de produits en devient presque néfaste pour l’épiderme, voire asphyxiants. Cette pression exercée sur la peau fait écho à la celle que la beauté exerce sur nous dans notre vie privée et professionnelle, comme une quête irrationnelle de perfection inatteignable. Une fois retiré, le masque crée une empreinte de soi et souligne le côté éphémère de la beauté, voire de l’existence. Le fait qu’il soit jetable renvoie aussi au gaspillage engendré par l’industrie de la cosmétique dans notre société de consommation.

Le culte de l’apparence
La série votive figure fait référence aux offrandes votives. Les ex-votos on pour but de demander protection ou guérison, la plupart du temps, à la Vierge Marie. Ces offrandes se matérialisent parfois par une figurine de cire anatomique. Leurs origines sont bien antérieures au christianisme, une main votive ayant notamment été découverte sur un site archéologique en Syrie. Dans tous les cas, l’offrande implique souvent une forme de privation, ou un sacrifice chez l’offrant. Marta Zgierska s’enduit de cire et dédie des parties de son corps à un nouveau culte: celui de la beauté. L’inconfort causé par la chaleur de la cire sur sa peau symbolise le sacrifice. Avec cette esthétique lisse et sans imperfection, cette série de photos illustre tout à fait l’importance que les femmes accordent à la beauté. Comme beaucoup d’artistes de sa génération, Marta Zgierska s’intéresse à l’intrusion des réseaux sociaux dans nos vies tels qu’Instagram et à la manière dont ils influencent le regard que portent les femmes sur elles-mêmes. Dans Selfkiss I et II, elle crée une mise en scène évoquant les selfies.

Les œuvres de Marta Zgierska racontent l’instrumentalisation et la mise en scène de notre corps dans l’imagerie collective, notre recherche constante de la perfection et d’une harmonie picturale. Elle réussit à montrer la faiblesse de l’âme et à donner de la profondeur à cette quête irrationnelle.

Blush
Jusqu’au 17 novembre
Gowen Contemporary
Rue Jean-Calvin 4
1204 Genève
http://www.gowencontemporary.com/

Votive Figure II, 2019

Série Votive Figure

Votive Figure III, 2019

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