Émancipation sur talons aiguilles

par 19 août 2020Art contemporain, Queer We Cheer!

Pour sa troisième Art Party, la galerie Espace L présente les oeuvres de l’artiste Carine Bovey, basée à Genève. Axés sur la féminité, la liberté et l’émancipation sexuelle, ces créations comprenant tableaux et ready-mades ne laissent pas les spectateurs indifférents, tant la thématique reste d’actualité. La jeune artiste offre ici sa vision personnelle, un regard sur son rapport à la féminité et celui véhiculé par la société de consommation en faisant usage de nombreux symboles anciens et contemporains. En résulte des oeuvres dont le spectre s’étend du privé, de l’intime, du sensuel, à des thèmes plus sociétaux et revendicatifs.

Objets, symboles et contes
Les deux paires d’escarpins présentés en vitrine donnent à la galerie Espace L un air de boutique. Cette présentation astucieuse fait le lien entre la société de consommation et l’univers artistique de Carine Bovey. En effet, avant de se consacrer pleinement à son art, l’artiste a travaillé dans la communication et le marketing. La façon dont les publicitaires jouent des clichés pour vendre des produits qui deviennent à leur tour des symboles l’a toujours interpelé. Ici, elle exploite ces derniers de façon volontairement décalée. Ainsi l’une des paires d’escarpins se retrouve tapissée de clous, tandis que l’autre, qu’elle qualifie d’autoportrait de ses 24 ans, est coiffée de mèches blondes platine.

Ainsi, franchir le seuil de la galerie, c’est comme passer à travers un miroir magique: la boutique de chaussures s’avère être un espace artistique qui se joue des codes. D’ailleurs, le milieu de la pièce accueille une référence à un conte, celui des frères Grimm:  Rapunzel (Raiponce). En déployant sa longue tresse du sommet de la tour dont elle est prisonnière, cette princesse permet à son amant de la rejoindre, l’exhortant à revenir la sauver. Mais ici, la tresse provient d’une cage dorée grande ouverte, suspendue au plafond. Nombreux sont les contes qui, dans un souci moral, ont attribué aux femmes des rôles passifs et captifs. De nos jours, tout ceci est incontestablement désuet, les femmes peuvent rejeter ou s’approprier les codes qui les emprisonnent, s’émanciper avec qui elles le souhaitent, prince ou pas prince, seules, etc. En clair, elles ne devraient plus avoir à se soucier du qu’en dira-t-on.

Prison dorée, 2020
Vulvorna, 2019-2020 / Vulvomania, 2019-2020
Photo: Yannick Milla

Démystifier le tabou
Sur le mur de droite, un autre symbole féminin se retrouve multiplié en 24 exemplaires multicolores: la vulve. En couleurs réelles ou fantaisistes, ces toiles conçues sur mesure par l’artiste et peintes à la main mettent en lumière la variété des formes. Erigée souvent en symbole de lutte féministe, la vulve apparaît ici dans cette diversité comme autant d’opinions qu’ont les femmes par rapport au féminisme. Il existe presque autant de courants de pensée que de femmes. Présenté ainsi, le sexe féminin se débarrasse des nombreux tabous dont il fait toujours l’objet et est mis en valeur. Les couleurs chatoyantes ajoutent une touche joyeuse à l’ensemble, ce qui contribue à dédramatiser le sujet.

Armes de séduction massives
Pour l’artiste, maquillage, hauts talons et sacs à mains ne sont pas symboles d’asservissement. Elle-même éprouve du plaisir à utiliser accessoires et maquillage pour renforcer l’image qu’elle a d’elle-même en tant que femme. Le sentiment de confiance et de puissance que cela lui procure lui a inspiré une série d’oeuvres, réunies sous un nom évocateur: « Armes de séduction massives ». Dans un tableau de cette série exposé ici, le rose, très présent dans ses créations, prend une tonalité plus agressive en se mêlant à un orange fluo vibrant, revendiquant. Des rouges à lèvres se confondent en balles de revolver tandis qu’au milieu, une bouche nappée de gloss légèrement entre-ouverte semble prête à nous envoûter, voire à nous engloutir tout entier.

Un peu plus loin, une création originale est accrochée au mur: une mitraillette M-16 conçue à partir de porte-jarretelle et de bas affriolants. Un objet à la symbolique violente et combative, mais pourtant confortable et moelleux au touché.

Arme de séduction massive, 2019
Photo: Yannick Milla
La mère (série Figures féminines), 2019

La mère
Au fond de la salle, une autre toile surprend les visiteurs. C’est le portrait d’une mère, sans la mère, mais constitué des objets de son quotidien. Une composition surprenante, décalée, où se mêlent objets de consommation, lait maternel jaillissant, perles, seins, pots de crèmes et plus encore… En marketing, des profils de consommateurs sont établis en fonction des objets qu’ils achètent. Pour le consommateur, l’achat de ces objets le conforte dans une image qu’il se fait de lui-même. A la vue de cette toile, on peut ressentir une explosion de joie, tout comme une pression selon comment on se sent dans notre société de consommation. L’artiste questionne la tension imposée aux mères de nos jours, ainsi que la relation qu’elles entretiennent avec les objets qu’elles acquièrent. Une relation amour / haine?

La grâce de l’instant
Dans un registre plus personnel, plus intime, 4 tableaux peints à l’huile (Ögenblick) se côtoient. Dans des couleurs douces, légèrement rosées, des jambes s’élancent, une rose les effleurent, de hauts talons s’animent avec un effet de flou suggérant que ces images sont les captures d’un instant. De ces toiles émanent un doux parfum, une vibrante sensualité. La peinture à l’huile, une technique très appréciée de Carine Bovey, demande du temps et de la patience. Il est intéressant pour elle de reproduire en peinture des effets photographiques qui ne sont issus que du jeu d’un instant. En diluant les couleurs sur ses toiles, la jeune peintre suspend le temps et étend le plaisir.

Plus loin, une dernière création, brodée à la main l’annonce: la grâce triomphera.

La grâce triomphera, 2020
Photo: Yannick Milla
Série Ögonblick:
Invitation à la dance, Finde soirée 2, Talon aiguille et Fin de soirée 1, 2020
Photo: Yannick Milla
Arme de séduction massive – M16, 2020
Photo: Yannick Milla
24 ans (série In my shoes), 2019
Photo: Yannick Milla
Photo: Yannick Milla

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