La démesure de la miniature

par 24 août 2023Art contemporain

Souvent assimilée aux récits folkloriques orientaux, la miniature semble appartenir à une autre époque. Dans une période tourmentée où nous avons plus que jamais besoin d’authenticité, l’art figuratif a le vent en poupe. Comme bien d’autres courants et périodes artistiques, tels que le baroque et la Renaissance, la miniature continue à inspirer les artistes contemporains.  En voici cinq qui remettent cet art ancestral au goût du jour. 

Waseem Ahmed
Né à Hyderabad au Pakistan, Waseem Ahmed a grandi dans une famille musulmane originaire d’Inde qui s’est installée dans le nouvel État du Pakistan après la partition de 1947. Aujourd’hui considéré comme un artiste majeur de la miniature, Waseem Ahmed a su rendre cette dernière contemporaine avec des techniques traditionnelles agrémentées d’interventions plus expérimentales. Chez lui, la gouache sur papier wasli souvent ornée de feuille d’or ou d’argent est confrontée à des textures abstraites formées par des coulures ou des méandres de peinture aléatoires. S’inspirant des mythologies asiatiques et européennes, l’artiste intègre dans ses compositions résolument modernes des personnages dont la silhouette est parfois remplie intégralement par des motifs végétaux. Ces derniers évoluent dans des paysages bidimensionnels. Dans son travail, Waseem aborde des sujets poignants tels que l’exil, la violence et les conflits auxquels sont confrontés l’Orient et l’Occident.

Waseem Ahmed, Untitled, 2019
Arghavan Khosravi, The garden, 2022

Arghavan Khosravi
Née en Iran, l’artiste américaine Arghavan Khosravi donne de l’ampleur à ses travaux picturaux. Ces peintures tridimensionnelles à mi-chemin entre les miniatures persanes et la grande peinture de la Renaissance abordent des sujets tels que l’exil, la liberté ou encore l’empowerment. Ses personnages, toujours féminins, sont souvent représentés la bouche cousue en référence à la répression des femmes dans les régimes autoritaires. En effet, les femmes jouaient un rôle secondaire dans la miniature qui servait à illustrer des textes folkloriques. Composées de panneaux en bois parfaitement enchevêtrés, les dernières œuvres de l’artiste juxtaposent des éléments empreints de symbolique. Avec ces agencements rappelant des bâtiments et ses éléments architecturaux, les œuvres de l’artiste interrogent la place de la femme dans l’espace public et privé.

Alireza Shojaian
Utilisant principalement le dessin comme médium, Alireza Shojaian esquisse l’amour queer sous de délicats traits de crayon de couleur. Ayant pour sujet principal le portrait d’homme nu, on retrouve l’esprit de la miniature dans les décors de ses dessins, mais aussi dans les créatures qui les peuplent. En effet, des petits personnages – humains vêtus de costumes traditionnels ou créatures démoniaques – s’intègrent à la composition. Serait-ce une manière d’évoquer la diabolisation de l’homosexualité dans la culture iranienne? Une chose est sûre, les œuvres de l’artiste sont truffées de symboles apportant une deuxième lecture. Dans des dimensions bien plus amples, le fameux projet PaykanArtCar se rapproche encore plus de l’image que l’on se fait de la miniature traditionnelle. Ce projet a pour but de mettre en avant les artistes iraniens marginalisés avec pour objet de départ la voiture. Pour cette collaboration, Alireza Shojaian a peint un couple d’hommes sur la voiture offerte à Nicolae Ceausescu par l’ancien Shah. Cette œuvre lui a valu de nombreuses récompenses dont le Vaclav Havel Prize en 2022.

Alireza Shojaian, Sous le ciel de Shiraz (Arthur), 2022
The Singh Twins, Partners In Crime:Deception and Lies,

The Singh Twins
Dans une esthétique proche des vitraux de Gilbert & George, les jumelles Amrit Singh et Rabindra Kaur Singh détournent la miniature indienne de manière décalée. Leurs œuvres résolument politiques mettent en relation de manière parfois provocante la culture pop, les manuscrits enluminés médiévaux occidentaux et les miniatures de tradition Sikh. Chez elles, des figures emblématiques telles que Lady D ou encore Mère Teresa côtoient des décors aux motifs synthétisés. Dans de somptueux palais, où la perspective semble superflue, des personnages évoluent parmi des symboles rappelant à la fois l’orient et l’occident. Ainsi, les deux artistes dénoncent les travers de nos sociétés. Avec plusieurs niveaux de lecture, les miniatures de ces deux artistes britanniques évoquent de manière satirique des thèmes tels que la mondialisation et la migration.

Mahmoud Farshchian
Né en 1930 à Ispahan, l’artiste iranien Mahmoud Farshchian est sans doute l’un des précurseurs de la miniature persane moderne. Dans une foison de couleurs vives, les structures géométriques habituelles se muent en vagues lyriques où les protagonistes ne font qu’un avec la nature. Ayant étudié en Europe, l’artiste a notamment des références bibliques en plus des bases coraniques avec lesquelles il a grandi. Ces connaissances spirituelles se ressentent dans ses œuvres, leur conférant ainsi un côté mystique. La déconstruction du paysage donne un aspect onirique aux compositions de Mahmoud Farshchian. Dans des mouvements circulaires, pouvant s’apparenter au souffle d’une brise tourmentée, les êtres et les végétaux se confondent, donnant une dynamique inhabituelle à la miniature.

Mahmoud Farshchian, The Glory of Nature, 1983
Waseem Ahmed, Untitled, 2019
Arghavan Khosravi, The Red Fence, 2022
Projet PaykanArtCar d’Alireza Shojaian
The Singh Twins, Princess Diana (Facets of Femininity Series)

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