Pause café

par 14 septembre 2020Art contemporain

A l’heure où l’Europe sortait de son confinement en début d’été, il ne fut jamais aussi bon de se retrouver autour d’un café. Le café, à la fois breuvage et lieu de partage, est fortement ancré dans notre culture. D’ailleurs, cette tradition est chère à la fondatrice de la galerie Gowen Contemporary, Laura Gowen. L’exposition Autour d’un café aborde ce thème bien au delà de son sens littéral. Quand les artistes s’ en emparent, chacun l’éclaire d’une lumière différente.

Qui n’a jamais rêvé de boire un café sur une terrasse, cette activité si prisée en Italie, en ce printemps 2020? Le manque de contact humain a mis en évidence le côté social de cette boisson. Qu’il soit consommé entre amis ou collègues, le café rapproche. Les plus grands consommateurs de ce breuvage après les finlandais sont les suédois, avec 10 kilos par an par habitant. D’ailleurs, le verbe argotique ”fika”, signifiant “prendre une pause en buvant un café”, souvent accompagné de pâtisseries, vient du mot ”kaffi” en verlan. Du nord au sud de l’Europe, le café est très présent dans la culture populaire. Consommé parfois en excès dans des gobelets en plastique, il rappelle les flics du petit et grand écran dans la culture nord-américaine. En Asie, présent dans des chaînes telles que Starbucks ou encore Costa Coffee, il évoque un mode de vie occidental très apprécié par la jeunesse dorée.

Martin Paar, A man studies his map in a service station Thurrock, England, (1994)

Boire la tasse
On dit souvent que c’est le voyage qui est plus important que la destination. En tout cas, c’est ce que l’on ressent dans les photos de Martin Parr. L’un des photographes-documentaire le plus célèbre au monde nous questionne sur l’attente. Dans A man studies his map in a service station Thurrock, England, (1994) et Rome, Italy, (2005), on découvre des vacanciers prenant un café sur des cartes routières faisant office de nappe. Halte obligatoire pour se restaurer, le café devient un petit moment de détente où l’on rêve d’une destination. On y projette ses envies, souvent seul, mais aussi en présence de ses compagnons de voyage. Le travail du photographe a souvent abordé la question du tourisme de masse. Les attentes d’une destination peuvent parfois malheureusement être décevantes une fois sur place, comme en témoignent les photos de plages de l’artiste où l’on découvre des touristes dans des situations souvent ironiques.

En prendre de la graine
La galerie présente deux pièces historiques de la photographe autodidacte Annelies Štrba, choisies pour ce thème. Ce qui symbolise on ne peut mieux le café actuellement est sans doute le partage. L’artiste l’a bien intégré dans son oeuvre puisqu’elle photographie essentiellement son environnement. Elle capture des moments au sein de sa famille. Une thématique tout à fait d’actualité: nombreux sont ceux qui, par le fait d’avoir dû ralentir leur cadence professionnelle, ont réalisé à quel point ils oubliaient de savourer l’instant présent. Prendre le temps, c’est une notion qui se ressent aussi dans la production de l’oeuvre avec Linda mit Ashi (1983). En effet, cette photographie argentique a été tirée sur une toile de lin. Cette prouesse technique témoigne de l’envie de l’artiste de créer des images avec une approche rappelant la peinture. D’ailleurs, ses photographies numériques sont depuis les années 2000 uniquement couchées sur du lin. Aussi, le travail de l’artiste ne cesse de prendre de la valeur puisque Le Prix Willy Reber Kunstpreis lui sera remis le 2 octobre 2020.

Annelies Štrba, Linda mit Ashi (1983)
Nicolas Party, Two Pots, 2016

Yoyoter de la cafetière 
Non, l’art figuratif n’est pas mort! Il n’est pas insensé de persister dans ce courant. Cette volonté de représenter le réel pouvait sembler à contre-courant lorsque Nicolas Party était étudiant. L’artiste vaudois a notamment étudié dans la même école que Sebastien Mettraux, proposant lui aussi des peintures figuratives. Avec ces nature-mortes dépouillées, l’artiste aborde le sujet à travers la cafetière. Ces esquisses aux curieux personnages rendent également hommage aux arts de la table mais de manière inattendue. En effet, les protagonistes ont la même échelle que les cafetières. Ils prennent des poses un tantinet érotiques proches du contorsionnisme. Y a-t-il une volonté de mettre l’humain au même niveau que l’objet? Ou peut-on y voir une sorte de fétichisme? Le dessins des cafetières ont un rendu très doux, comme si les objets étaient faits de velours. Les récipients perdent ainsi leur froideur. Avec leur texture douce comme une peau de pêche, ils en deviennent presque humains. La nature morte prend vie bien que statique. La composition épurée, vide de tout décor met encore plus en valeur la silhouette des cafetières. D’ailleurs ces dernières sont assez allongées, tout comme les personnages de l’artiste.

C’est fort de café
Adriano Costa ré-interprète de manière poétique la cafetière. Il a pour habitude d’utiliser les objets du quotidien pour les transformer. Ici, la cafetière personnifie un homme que l’on suppose de couleur. Avec cette cafetière italienne, il évoque notamment l’importance du marché du café au Brésil et ses répercussions sur le peuple. A travers ses installations, l’artiste brésilien critique à sa manière les excès de la société de consommation en récupérant des objets voués à être jetés.

Adriano Costa, Untitled, 2019
Alberto Finelli  & Evyenia Gennadiou, Pictionary. I see kokoriko, I see Iacopo’s moka, 2017

Veiller au grain
Qui dit oeuvre à quatre mains, dit dessin. Ce procédé pourrait paraître banal si l’on omettait de préciser qu’Alberto Finelli & Evyenia Gennadiou vivent sur deux continents différents. L’un vivant à New York, l’autre à Milan, ce couple a su réinventer la collaboration entre deux artistes. Leurs oeuvres, mêlant dessin et technique d’impression expérimentale avec film d’aluminium, issues de la série Pictonary sont composées de plusieurs feuilles A4 qui font des aller-retours entre les deux villes.. Avec ce procédé, on pourrait presque dire qu’ils ont inventé l’ancêtre du télé-travail! Malgré l’abstraction de l’esquisse, on peut y entrevoir soit un perroquet pour Evyenia, soit une cafetière pour Alberto. Les tons de l’oeuvre évoquent aussi le café par les couleurs de ses grains ou de ses feuilles. A l’image du jeu Pictionary, chacun peut y projeter ses propres illusions.

Café suspendu
Elliott Erwitt n’est pas novice dans l’art d’observer les gens. Photographe de presse entre autres, il rejoint l’agence Magnum en 1953 alors qu’il est âgé de 25 ans. Connu pour ses clichés mettant en scène des chiens et leurs maîtres, il joue avec l’ironie des situations dans lesquelles se trouvent les protagonistes de ses clichés. Dans Left Bank cafe (1951), il aborde le sujet du café par le lieu. Il faut dire qu’en ce début d’année, troquets et bistrots nous avait bien manqués. Comme le chantait Edith Piaf, la foule nous fait nous sentir vivants. Ici, le mouvement du brassage des personnes est accentué par ce personage statique qui semble observer les autres. Est-ce un écrivain ou un simple badaud venant se perdre pour quelques heures dans l’ivresse du cliquetis des cuillères à café et le tintement des canons de bière?

Elliott Erwitt, Left Bank cafe, 1951
Sébastien Mettraux, Untitled (Ex-Machina) (2016)

Donner du grain à moudre
L’homme et la machine sont plus que jamais liés. La machine qui nous relie, nous divertit. Cela devient fâcheux lorsqu’elle nous remplace! Une expérience qu’a vécue Sébastien Mettraux, lui-même ayant été remplacé par une machine Nespresso sur laquelle il travaillait afin de financer ces études à l’Ecal. L’artiste nous questionne depuis longtemps sur la relation qu’entretient l’homme avec la machine, mais aussi le transhumanisme. (NDLR: lire https://le-chat-perche.ch/hyperhumain/) Avec Untitled (Ex-Machina) (2016), nous sommes plongés dans le monde industriel, jadis premier employeur de la région de Vallorbe. Cette peinture à la texture épurée fait écho aux cafetières de Nicolas Party, mais à plus grande échelle.

Couleur café
Il aurait été difficile de faire une exposition autour du café sans y inclure physiquement ce breuvage énergétique. Claude Cortinovis a abordé le sujet de manière conceptuelle. Avec son livre Je trace ma ligne calmement, la boisson apparaît sous forme de trait sur un papier millimétré à la main par l’artiste. De l’encre mêlée à du café noir strie méticuleusement le papier. Ce travail, suite d’une série d’ouvrages ayant pour titre Je trace ma ligne… est un thème récurrent chez l’artiste. Ces traits représentent l’empreinte que l’on laisse sur Terre. Cela tombe bien, car le café favorise les rencontres, qu’elles soient amicales, professionnelles ou amoureuses. Ces rencontres peuvent à la fois concrétiser un projet ou mener à la filiation. Elles sont les gardiennes de la perpétuité de l’humanité.

Claude Cortinovis, Je trace ma ligne calmement (2020)
Annelies Štrba et Martin Paar
Martin Parr, Rome, Italy, 2005
Nicolas Party
Nicolas Party, Unknown, ca 2010

Partagez cet article:

Plus d’articles

Au-delà des apparitions

Au-delà des apparitions

Cet hiver, la fondation Louis Vuitton présente dans sa galerie 3 un solo show de Xie Lei. L’artiste chinois nous immerge dans un univers fantasmagorique, peuplé d’apparitions. Véritable voyage au cœur de camaïeux oscillant entre le vert émeraude et le vert de Sèvres, le peintre nous livre l’expression de ses pensées sur l’existence.

Images vagabondes

Images vagabondes

Dans un périple reliant deux mégapoles, l’artiste jurassienne Christiane Yvelin nous invite à nous perdre dans des paysages brumeux empreints de poésie. Teintés de bleus, puis se réchauffant au fil de la journée, les clichés révèlent des éléments semblant insignifiants mais qui constituent la beauté d’une image.

Intérieur stellaire

Intérieur stellaire

Des agrumes évoquant le système solaire, un crépuscule civil révélant Vénus… L’artiste bernois Gian Losinger nous immerge dans un calme baigné de douces lumières, où les petits riens du quotidien sont sublimés.