Artists Rooms: Jenny Holzer
Durant une année, Jenny Holzer déploie ses ailes au 4ème étage du Tate Modern de Londres. Cette artiste engagée nous délivre des messages percutants au travers d’une sélection d’œuvres emblématiques.
Une fois n’est pas coutume, la prose est toujours au centre du travail de l’artiste américaine. Des messages verticaux diffusés par un pilier lumineux saccadent la lumière ambiante de la pièce principale. Une pulsation qui évoque une poignée de manifestants scandant des slogans revendicatifs. Comme sortis du mur, le pilier surplombe la salle rappelant le hall d’un bâtiment officiel. Un espace cher à cette artiste qui privilégie depuis toujours les lieux publics aux musées ou autres galeries.
Les bancs en marbre, Towards the clouds (2017) sont gravés de «Earth and Sky», un extrait de Building the barricade de la poète polonaise Anna Świrszczyńska. Cet ouvrage narre son expérience d’infirmière militaire, alors qu’elle est témoin des pires exactions commises lors de l’occupation nazie. Sa poésie de guerre est brutale, lucide et décrit sobrement les événements survenus lors du nivellement complet de Varsovie en 1944.


Le pilier Floor (2015), devant se trouver initialement au sol comme son nom l’indique, livre de manière aérienne les textes les plus connus de l’artiste, incluant Truisms, Inflammatory Essays, Living, Survival, Mother and Child et Arno. Aux murs, la série Laments, composée de treize textes, agit comme une réponse aux politiciens, qui durant les années 1980 mirent du temps à réagir lors de l’épidémie du sida. Pour Holzer, elle représente la voix des morts. Cette installation où l’instinct de survie, la guerre et la mort se côtoient plonge le spectateur au centre des thématiques de prédilection de l’artiste et nous invite à poursuivre la visite.
Plus loin, une œuvre attire notre attention, il s’agit de Blue Purple Tilt (2007), une rangée de sept piliers donnant l’illusion de sortir du mur et diffusant des messages de manière rythmique. Ces texte sont issus d’œuvres antérieurs de Holzer, notamment Truism (1984) – située dans la première salle – avec des phrases telles que ”Abuse of power comes as no surprise.” ou encore des expressions tirées de sources littéraires et poétiques publiques.
Parmi les oeuvres clefs de la rétrospective, on compte Protect Protect (2007), They left me (2018) et I’ve Just been shot (2017). Dans cette dernière, un sac de couchage adossé au mur laisse imaginer le calvaire d’un soldat qui y aurait trépassé, comme le laisse suggérer l’extrait d’interview de membres de l’armée britannique.
Face à lui, They left me diffuse des témoignages d’anciens détenus, recueillis par Human Right Watch et Save the Children, comprenant femmes et enfants, des services de renseignement syriens. Cette œuvre met en lumière les arrestations arbitraires, la torture et les disparitions perpétrées dans les prisons clandestines de Syrie depuis 2011.
Avec Protect Protect, on découvre une autre partie du travail de Holzer, consistant à détourner des documents déclassifiés du gouvernement américain. On découvre ainsi au mur une diapositive présentant une carte de l’Irak. A l’origine, ce plan était destiné à informer la Maison Blanche de l’invasion du pays par les USA et le Royaume Uni. L’artiste en a modifié les inscriptions, comme pour révéler les intentions belliqueuse de l’armée: Supress, Isolate, Shock and awe…

Avec son choix d’inclure le langage dans la plupart de ses œuvres, Jenny Holzer atteint son but d’être comprise par un large public mais aussi de toucher plus facilement les personnes, les menant à réfléchir davantage à la guerre et ses conséquences.
Artists Rooms: Jenny Holzer
Jusqu’à juillet 2019

Partagez cet article:
Plus d’articles
Loving, ou l’amour immortalisé
Dans une ambiance intimiste, le musée Rath nous plonge dans la collection de photos romantiques des collectionneurs Hugh Nini et Neal Treadwell. Durant vingt ans, le couple texan a réuni plus de 4’000 clichés d’hommes amoureux pris entre les années 1850 et 1950. De cette manière, cette collection complète une partie de l’histoire passée sous silence durant un siècle noirci par l’homophobie.
Ex Codice, ou la poésie de l’aléatoire
Dans des cieux aux camaïeux harmonieux s’entremêlent des structures végétales. Ici, le code binaire se mue en méandres organiques. En véritable sublimation de l’aléatoire, les toiles de Sébastien Mettraux nous plongent dans un univers régi par un langage mathématique universel.
Le baiser de la discorde
Avec l’arrivée des beaux jours, l’artiste suisse Yannick Lambelet présente Le goût de la victoire #3 dans l’exposition collective organisée par Bowie Creator. Débutée l’année dernière, cette série de peintures met le doigt sur une expression de la joie qui peut sembler paradoxale, poussant parfois les joueurs de foot professionnels hétéros à s’embrasser sur la bouche, alors qu’il subsiste une forte homophobie dans le monde du sport. Décryptage.