En ce début d’année, la Fondation WRP expose les lauréates du prix IWPA en partenariat avec l’Alliance Française. Ce prix met en lumière le travail photographique des femmes, peu représentées dans ce domaine. Parmi les neuf finalistes, on découvre des séries de photo-reportages poignants et des clichés dont la poésie fait écho aux problématiques socioculturelles actuelles.

Le manque de visibilité des photographes féminines est un véritable paradoxe, car les femmes sont très présentes sur la plupart des clichés célèbres.  Sublimée par des photographes tels que Richard Avedon ou Helmut Newton, la femme ne passe pas de l’autre côté de l’objectif. On pourrait faire un parallèle avec l’un des posters revendicatifs des Guérillas Girls, rappelant que lorsque l’on est une femme, on a plus de chance d’être représentée dans un musée en tant que modèle nu, plutôt qu’en tant qu’artiste. Rares sont les femmes ayant percé ce plafond de verre, bénéficiant d’une reconnaissance mondiale. Il a fallu des années avant que Lee Miller sorte de l’ombre de Man Ray ou que l’on choisisse de consacrer une rétrospective à Martine Franck. Néanmoins, les femmes photographes sont nombreuses et pas uniquement dans le domaine glamour de la mode ou de l’art contemporain. Les jeunes photographes n’ont pas peur de braver les dangers. Rencontre avec une nouvelle génération marchant sur les pas de pionnières telles qu’Alice Schalek ou encore Christine Spengler.

Mara Sanchez Renero
Cette année, le prix IWPA est décerné à la photographe mexicaine basée à Barcelone Mara Sanchez Renero. Dans la série Iluikak (2018), signifiant ”au plus près du ciel” en nahuatl, elle rend homage au peuple Nahua, dont les clichés poétiques aux tons bleutés remettent sur la tapis la question épineuse du statut des peuples précolombiens. Aujourd’hui, les Nahuas, l’une des premières ethnies du Mexique, souffrent comme malheureusement bon nombre d’indigènes d’injustice et de manque de considération. Un phénomène lié à la colonisation, touchant le monde entier. Mis au banc de la société par les nouveaux arrivants, les autochtones perdent le lien avec leurs racines, leur héritage et leurs territoires. L’intention de Mara Sanchez Ronero est de photographier la région de la Sierra où vivent bon nombre de Nahuas en utilisant différentes sources de lumière pour créer un point de clarté et de concentration dans un environnement incertain. La lumière permet de créer un nouveau symbolisme de manière à percevoir de façon différente chaque personnage. Elle applique aussi ces lueurs à des éléments de paysage. Sur l’une de ses photos, des nuages sont ainsi illuminés, éclairant un sommet de la chaîne de montagnes Zongolica à Veracruz. Cet éclairage confère à ses prises de vue une ambiance mystique. Mara Sanchez Renero rend aussi hommage  par le titre de sa série à la poésie de la langue nahuatl.

Tamara Eckhardt
Avec la série The Children of Carrowbrowne, Tamara Eckhardt capture des scènes de vie d’enfants de gitans à Carrowbrowne. Situé à côté de la décharge de Galway en Irlande, le site de Carrowbrowne accueille huit familles de « gens du voyage » établies dans des caravanes de fortune. La photographe allemande confie qu’il est a été difficile de rendre visite à ces enfants vivant dans un dépotoir. Dans une esthétique proche des Polaroïds des années 60, Tamara Eckhardt apporte de la douceur au clichés, reflétant l’innocence des enfants. Elle leur rend ainsi leur dignité, montrant qu’ils ont aussi des rêves et des espérances comme tous les enfants, peu importe leur milieu social. 

 

Anna Maria Arévalo Gosen
Avec Dias Eternos (2017-2018), la photographe Anna Maria Arévalo Gosen nous plonge dans l’environnement carcéral féminin au Venezuela. Elle dénonce les conditions insalubres dans lesquelles les détenues sont contraintes de vivre, parfois séparées de leurs enfants pendant des mois, voire des années. La pauvreté grandissante au Venezuela pousse certaines femmes à commettre des délits pour assurer leur survie et celle de leur famille. Avec ces clichés parfois crus, la photographe montre leur quotidien sans filtre. Elle met également en lumière la persévérance de ces femmes à conserver leur dignité, qu’il s’agisse d’une détenue à la chevelure chatoyante ou encore cette femme transgenre, incarcérée dans une prison masculine et victime de maltraitance de la part des autres détenus. Le visage de cette dernière, tuméfié et écrasé contre les barreaux de sa cellule témoigne de sa souffrance. Seule une boucle d’oreille au nacre d’un blanc éclatant atteste de sa vie d’avant. Dias Eternos, «Jours éternels», est le terme utilisé par une des détenues pour désigner le moment où elle purge sa peine au centre de Poli-Valencia Carabobo en attendant d’être transférée dans une prison d’État. 

Livia Saavedra
La nomination de la photo-reporter Livia Saavedra ne pouvait pas mieux tomber. Dans la série Ebola in time of War (2018-2019)elle donne un aperçu de la vie des soignants congolais fréquemment attaqués par les rebelles Maï Maï et les rebelles ougandais, les ADF. Cette série d’images fait écho à la situation mondiale actuelle dominée par la pandémie du COVID-19. A travers ce reportage, la photographe franco-argentine illustre notamment les problèmes survenant durant les enterrements, où les malades ayant succombé à la fièvre hémorragique doivent être enterrés loin des cimetières communaux pour des raisons de sécurité. Une douleur supplémentaire pour les familles des défunts.

Marta Zgierska
Dans une esthétique épurée, toute de rose poudré, les photographies de l’artiste Marta Zgierska sont à la fois belles et dérangeantes. Dans une certaine fragilité, elle explore la féminité et ses codes actuels de manière inattendue. Dans la série Votive figure, elle pose un regard à la fois complice et critique sur l’iconographie féminine du 21ème siècle. Connue pour Post, une série de photos née après un grave accident de voiture nécessitant plusieurs mois de physiothérapie et d’un suivi psychologique, l’artiste se sert de ce traumatisme pour créer des images représentant la fragilité, mais aussi la cicatrisation des blessures causées par ce malheur. La série Votive Figure fait référence aux offrandes votives. Les ex-votos on pour but de demander protection ou guérison, la plupart du temps, à la Vierge Marie. Ces offrandes se matérialisent parfois par une figurine de cire anatomique. Leurs origines sont bien antérieures au christianisme, une main votive ayant notamment été découverte sur un site archéologique en Syrie. Dans tous les cas, l’offrande implique souvent une forme de privation, ou un sacrifice chez l’offrant. Marta Zgierska s’enduit de cire et dédie des parties de son corps à un nouveau culte: celui de la beauté. L’inconfort causé par la chaleur de la cire sur sa peau symbolise le sacrifice. 

Natalia Kovachevski
Natalia Kovachevski parcourt l’Afrique depuis plusieurs années. C’est au Togo qu’elle décide de réaliser la série Girls education, démontrant le manque de fréquentation des écoles par les filles. Souvent gardées à la maison pour des raisons socioculturelles et économiques, les petites filles n’ont pas accès à l’éducation. Dans beaucoup de régions d’Afrique, c’est la communauté qui est responsable de l’éducation des enfants. Les tâches incombant aux filles consistent bien souvent à l’agriculture ainsi qu’aux travaux domestiques et artisanaux. De nombreux facteurs poussent également les parents à déscolariser leurs filles, tels que l’insécurité sur le chemin de l’école, les violences qu’elles peuvent subir sur place ou encore le manque de moyens financiers. Parce qu’elles n’ont pas les moyens d’acheter des protections hygiéniques, de nombreuses jeunes filles sont obligées de rester à la maison lors de leurs menstruations. Cette série de clichés met en évidence  les grandes inégalités qui subsistent encore entre hommes et femmes. 

Dina Oganova
La photographe géorgienne Dina Oganova dénonce le harcèlement et les violences sexuelles dans son pays. Avec #MeToo (2015-2020) elle traite d’un mal universel avec beaucoup de délicatesse. Dans un pays où le système judiciaire n’est pas adapté à la reconnaissance des victimes, la photographe recueille avec pudeur les témoignages de femmes agressées. Elle dresse leurs portraits de manière pudique en les mettant côte-à-côte du lieu où s’est déroulé leur agression. En rayant la photo du portrait, Dina Oganova préserve l’anonymat des victimes tout en évoquant qu’un viol leur enlève toujours une partie d’elles-mêmes de manière irréversible. Les tissus sur lesquels sont posés les portraits apportent de la douceur. Leurs couleurs semblent apporter une lueur d’espoir, signifiant peut-être que derrière la douleur, il subsiste chez ces femmes une force pour se reconstruire et continuer à vivre. De même, les motifs des tissus peuvent rappeler que derrière chaque victime, il y a une femme avec sa propre personnalité et qu’elle ne doit jamais être réduite au silence.

Rosa Rodriguez
S’il y a bien un mot pour qualifier le travail de Rosa Rodriguez, ce serait sans aucune hésitation ”blanc”. Avec sa série White Line, la photographe espagnole met en évidence la fragilité des régions arctiques et la résilience des peuples qui les occupent. Lors de ses voyages au Groenland, en Laponie et en Sibérie, elle a vécu parmi les Inuits, les Samis et les Nenets. Le dépouillement des images renvoie à l’esthétique épurée des grands espaces blancs. Seuls les habitants apportent une touche de couleur avec leur vêtements traditionnels. Avec cette série de photos, Rosa Rodriguez rend hommage de manière poétique aux peuples du grand Nord. Elle nous fait aussi prendre conscience de l’accroissement des difficultés auxquels ils sont confrontés à cause du dérèglement climatique.

Snezhana von Buedingen
Avec Meeting Sophie (2017-2019), la photographe russe Snezhana von Buedingen vivant à Berlin nous livre une reportage d’une sensibilité saisissante. Durant deux ans, elle suit le parcours de Sophie, une adolescente atteinte du syndrome de Down. La photographe commence cette série en travaillant avec un groupe d’enfants trisomiques pour les prendre en photos avec leurs mères. C’est ainsi qu’elle rencontre Sofie, à l’automne 2017. Fascinée par la jeune fille, elle décide de lui rendre visite à la ferme familiale de Eilenstedt. Après avoir passé une journée entière à entrer dans son univers, Snezhana von Buedingen décide de la suivre durant ce passage si complexe vers l’âge adulte. Durant cette période passée à la ferme, elle capte les moments de vie intime de Sophie avec beaucoup de pudeur et d’égards, sans voyeurisme. Elle capture ainsi les premiers émois amoureux de l’adolescente, ses moments de détente avec ses amis et la complicité qu’elle entretient avec sa mère.

Cette exposition itinérante est visible à la fondation IWRP jusqu’au 26 mars.

Fondation WRP
Rue François-Bonivard 12
1201 Genève
Suisse
https://fondation-wrp.org/

 

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