Iconographie universelle

par 30 avril 2020Art contemporain, Rétrospective


En ces temps incertains, nous avons décidé de vous parler d’une artiste qui est chère au coeur du Chat Perché: Moki Cherry. Mère de Neneh et Eagle Eye Cherry, sa pratique pluridisciplinaire a marqué le patrimoine artistique de la Suède. A travers ses oeuvres empreintes de l’énergie positive des sixties, elle véhicule un message de paix et d’espoir.

Cela fait peu d’années que l’art textile a retrouvé ses lettres de noblesse. Longtemps considéré comme de l’artisanat, il a fait son trou au sein des musées d’art contemporain. En 2016, le Moderna Museet présentait  Moment – Moki Cherry une rétrospective axée sur les tapisseries de l’artiste. En effet, ce sont ces pièces uniques aux inspirations asiatiques qui l’ont consacrée. Dans un univers coloré qui pourrait paraître enfantin à premier abord, l’iconographie propre aux mandalas et aux thangkas tibétaines côtoient les typographies européennes. Les éléments végétaux omniprésents rappellent que dans son enfance, Moki Cherry a passé la plupart de son temps à jouer dans la forêt, entretenant une relation fusionnelle avec la nature et les animaux. En 1962, elle quitte son Norrbottens natal pour s’installer à Stockholm et étudier la mode et les textiles à la Beckman’s School of Design. C’est d’ailleurs dans cette même ville qu’elle rencontrera le jazzman Don Cherry.

Sans titre, 1967 © Moki Cherry. Foto: Prallan Allsten/Moderna Museet

Organic Music konsert, 1974

La musique dans la peau
En 1963, elle rencontre Don Cherry alors qu’il est en tournée avec Sonny Rollins. Après divers aller-retours entre les Etat-Unis et la Suède, le musicien afro-américain s’installe finalement à Stockholm avec Moki Karlsson. Il adopte sa fille Neneh, née d’une première union avec le percussionniste originaire de Sierra Leone Ahmadu Jah. En 1966, une fois son diplôme en poche, Moki s’envole avec sa nouvelle famille pour New York où elle travaillera dans le design et la mode, bien que les collaborations avec son compagnon commencent à occuper la plupart de son temps. L’artiste élargit alors sa pratique à la peinture, la tapisserie, la musique, la scénographie et le théâtre. Les tapisseries serviront de décor aux reproductions de Don Cherry. L’univers festif de Moki apporte une touche de couleur à ces dernières. Cette même année, elle lui dessine la couverture de la pochette de son disque Where is Brooklyn?. La musique et les créations de l’artiste deviennent indissociables.

De la thangka à la pochette de disque
De retour à Stockholm en 1967, le couple crée le projet artistique Organic Music, dont le premier concert a lieu à l’ABF Huset. La scène est habillée par les tapisseries psychédéliques de l’artiste créant une ambiance multiculturelle chère aux hippies. Les tapisseries, dont la facture est fortement inspirée des thangkas tibétaines apportent un côté mystique aux performances des musiciens. Les thangkas tibétaines sont composées de soies multicolores peintes de représentations mythologiques ou de figures importantes du bouddhisme. Cet objet de dévotion fait partie intégrante de l’iconographie des légendes du toit du monde. L’absence de perspective que l’on retrouve sur les tapisseries de l’artiste s’inspire des thangkas. Comme dans les représentations médiévales européennes, on parle plutôt de perspective symbolique, mettant en avant les éléments par leur importance. Les éléments ornant les tapisseries de l’artiste consistent en un mélange de pictogrammes occidentaux, extrême-orientaux et africains. Ils sont stylisés de manière à se marier parfaitement entre eux. Si l’on regarde les fresques murales de l’appartement du couple d’artistes à Gamla Stan, on ressent aussi une influence du design de Svenskt Tenn, très en vogue dans les années 1960. Il y a indiscutablement un côté lyrique au travail de Moki Cherry. D’ailleurs, les oeuvres illustrent la plupart du temps les albums de son époux, renforçant le lien entre dessin et musique.

Moki et Neneh Cherry dans leur appartement à Gamla stan

Couverture de disque

 

Partage universel
En mélangeant toutes ces influences, l’artiste a réussi à créer un langage qui lui est propre et gagne en reconnaissance. Cela mène le couple à être invité en 1971 par Pontus Hultén, conservateur du Moderna Museet, pour participer à l’exposition Utopier och Visioner 1871-1981. Durant 3 mois, les deux artistes organisent des rencontres et performances. Chaque jour, un atelier a lieu sous un dôme géodésique construit par l’artiste Bengt Carling. Moki Cherry y crée diverses oeuvres sur place allant des costumes folklorique à un Mandala géant esquissé à même le sol. Traditionnellement, le mandala prend forme grâce à des sables colorés, versés minutieusement par des moines. Sa création demande beaucoup de concentration et peut être considérée comme une forme de méditation, mais aussi comme un moment de partage où les auteurs s’affairent à une même tâche pour ne faire qu’un. Cette notion universelle se retrouve dans les oeuvres de l’artiste, où les symboles de différentes cultures se mêlent afin de créer une image homogène, comme le portrait de l’humanité.

Organic Music, 1970
Sous le dôme géodésique, 1971

Moki et Don Cherry dans la cuisine de leur appartement à Gamla Stan

 Brown Rice, 1975
© Moki Cherry. Foto: Prallan Allsten/Moderna Museet
Organic Music, 1975 © Moki Cherry. Foto: Prallan Allsten/Moderna Museet

Madonna, 1979

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