La grâce triomphera

par 25 mars 2020Art contemporain

La grâce triomphera toujours. Peu importe les circonstances, elle sera à jamais plus forte. Elle illuminera les ténèbres grâce à son aura et rappellera à chacun de nous la beauté de ce monde. Elle éclairera le chemin de l’humanité.

Les trois Grâces
En ce début d’année 2020, la féminité et la puissance sont à l’honneur à la galerie Analix Forever. D’ailleurs, cela ne pouvait pas mieux tomber! A l’heure où une pandémie paralyse toute la planète, il fallait absolument que l’on se souvienne de la joie, éprouvée lors de nos rencontres, ou encore l’émotion ressentie lors de la contemplation d’une œuvre d’art. L’existence est promesse de bonheur, pour ne pas paraphraser Stendhal.

”La puissance et la grâce” regroupe les travaux de trois photographes talentueux dont les univers iconographiques se croisent lors de cette magnifique exposition collective. Mimiko Tûrkkan, Guillaumes de Sardes et Dana Hoey nous proposent une vision de la femme non conventionnelle. Ici, elle repousse les limites de la force physique, mais aussi de ses fantasmes. Voici les portraits de femmes libres.

La Regina de Sardes
Les images de Guillaumes de Sardes ne sont pas figées, elles racontent une histoire dont on attend le dénouement. Chaque capture suggère que quelque chose va se passer ou est en train de se produire. Les prises de vue du photographe et écrivain français nécessitent une lecture plus suggestive. Le spectateur peut projeter ses propres attentes dans le cliché, permettant d’avoir ainsi une suite différente selon l’imaginaire de chaque personne.

Les poses de ces modèles à l’érotisme à la fois puissant et subtil évoquent sans conteste la grâce. Les corps, parfois dans des situations qui pourraient paraître inconfortables sont tout de même empreints de cette dernière. Dans les dyptiques, les photos de l’artistes sont confrontées à des détails de toiles de maître. Le cadrage souligne le côté érotique insoupçonné de certains tableaux. Des éléments propres à chaque image se répondent, comme par exemple le moutonnement des nuages et celui des arbres dans Alpes-Naples (2013). Ici, le paradis est évoqué de deux manières différentes, témoins de l’évolution de nos codes picturaux.

Dans Vies secrètes, nous plongeons dans un monde où les fantasmes ponctuent la vie d’un couple d’apparence ordinaire. Ce court métrage réalisé en collaboration avec Regina Demina, alors compagne de Guillaumes de Sardes, met en scène les deux artistes de manière intime. On suit les deux protagonistes dans des situations à la fois irréelles et absurdes.

Sans titre, de la série Paris, 2012

Still from one Pro Two Amateurs, 2000

Les lutteuse d’Hoey
Depuis toujours, Dana Hoey photographie les femmes. Elles sont à la fois puissantes et gracieuses, fortes et fragiles. Souvent dans des mises en scène dont on ne saisit pas toujours le sens, les clichés de l’artiste américaine sont empreints de mystère.

Le thème de la boxe et de la lutte est très présent dans le travail de la photographe. Dans le film Fighters, on découvre deux femmes se battant sur un ring. De leur corps émanent une telle force qu’il est difficile au premier abord de distinguer qu’il s’agit de deux figures féminines. Dans Still from one Pro Two Amateurs (2000), c’est une autre forme de lutte qui est évoquée. Au premier plan gît une femme allongée sur le dos dans la boue. Sa position laisse à penser qu’elle aurait perdu un combat. En arrière plan, une autre femme semble l’observer d’une curieuse manière, mais il est difficile de l’affirmer car on ne peut voir son regard. Est-ce son adversaire qui se délecte de sa victoire, ou est-ce une autre personne, qui la découvre ainsi? On ne le saura jamais.

Cette année, Dana Hoey, nous propose un auto-portrait ou elle se bat avec son ombre, façon Muay-Thaï. Elle trouve d’ailleurs que le moment est opportun à la réalisation de cette série de photos, car elle se situe entre deux âges. Sur ces clichés, elle avoue se sentir forte et belle. Est-ce la fin d’un combat mené envers son corps, où elle se sentirait en harmonie avec elle-même?

Les Innergy de Türkkan
Pour Mimiko Türkan, la boxe est salvatrice, lui permettant d’extérioriser une rage autrement auto-destructrice si elle n’était pas contenue. Avec son apparence gracile et sa douceur, difficile d’imaginer que l’artiste turque pratique le Muay-Thaï depuis l’âge de 20 ans. Des caractéristiques qui semblent avoir pris le dessus de toutes émotions négatives. Il y a néanmoins une distance entre la mentalité compétitive présente dans ce sport et l’artiste. Lors d’une compétition, elle se demandait quel était l’intérêt de se battre contre quelqu’un. Pour elle, le fait de gagner ou de perdre n’avait aucune influence sur la satisfaction de pratiquer ce sport.

Si l’on se réfère au spinozisme, le pouvoir est une émotion triste, car on domine les autres par une quelconque contrainte tandis que la puissance provient d’un individu. Dans son travail, Mimiko Türkkan s’intéresse justement à cette notion de puissance, que l’on devrait montrer plus souvent. Le pouvoir exercé par une personne est intrusif et influence la vie des autres, il est donc plus remarquable. La puissance est plus douce, plus discrète, car elle n’entre pas forcément en interaction avec autrui.

Innergy #7, 2019

Série Innergy,  2019-2020
© Mimiko Türkkan, 2020. Courtesy Analix Forever

 

Dans sa dernière série de photographies, réalisées entre novembre 2019 et février 2020, Mimiko Türkkan a inventé le concept d’”Innergy”. Une énergie émanée par une personne, telle un aura synonyme de puissance. L’artiste a puisé dans les bienfaits éprouvés lors de la pratique de la boxe, en les sortant de son contexte, afin d’en faire de l’art. Pour elle, le sport est source de puissance, car il nous pousse à découvrir nos capacités insoupçonnées. Dans la série Innergy, il s’agit plutôt d’indices nous faisant ressentir la puissance de ces femmes. Dans Innergy #7 et #8 (2019), pour citer un exemple, on ressent la puissance à travers la musculature du cheval, maîtrisé par sa cavalière. Parfois elle est plus abstraite et se fait ressentir davantage par une composition ou encore un halo.

Par le biais de ce travail photographique, l’artiste, étant aussi professeur de boxe, nous invite à découvrir un travail plus personnel concernant la transmission de la puissance, notamment par la filiation.  Parmi les travaux exposés figure Şükran / Gratitude, un ensemble de 198 polaroïds, témoignant des derniers instants de la vie de sa grand-mère. On retrouve la notion de filiation dans Innergy #14, représentant la mère de l’artiste et ses cicatrices. Pour Mimiko, cette énergie peut se perdre au fils des ans, érodée par la maladie et les blessures de la vie. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne soit perdue à jamais.

Marchingflat, Right Blockflat, Left Roundhouseflat et Left Blockflat, 2020, de Dana Hoey

Photo © Mimiko Türkkan, 2020. Courtesy Analix Forever

Sans titre, de la série Marrakech (2012), Sans titre, de la série Paris (2013) et Sans titre de la série Avalanche

Photo © Mimiko Türkkan, 2020. Courtesy Analix Forever

Alpes-Naples, 2013, de Guillaume de Sardes

Photo © Mimiko Türkkan, 2020. Courtesy Analix Forever

Innergy #1 (2019), de Mimiko Türkkan

Suivez le Chat

A lire aussi

A l’heure où la défiance envers les institutions et le gouvernement grandit, les outils de surveillance vidéo inquiètent la population. Certains artistes se sont emparés du sujet depuis déjà plusieurs décennies. Retour sur quelques œuvres marquantes.

Pour cette 8ème biennale intitulée Bisssextile, le spectre visible, les artistes de l’Usine Kugler de Genève ont proposé un accrochage aux couleurs chatoyantes. Une véritable bouffée d’oxygène en ces temps anxiogènes.