La prison exposée: Champ-Dollon à Penthes

par 10 septembre 2018Art contemporain

Aborder la question de la liberté et des droits humains, c’est ce que propose Barbara Polla, commissaire d’une série d’expositions passionnantes sur le thème Art & Prison. Ce nouvel accrochage, réalisé en étroite collaboration avec la prison de Champ-Dollon, plonge le visiteur dans l’univers carcéral. Il met en lumière l’acte de création en présentant notamment des objets conçus par les prisonniers eux-mêmes.

L’exposition célèbre les 40 ans de deux institutions que tout oppose: la prison de Champ-Dollon et la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde qui fête sa quarantième année de présence au Château de Penthes. A l’entrée, le ton est tout de suite donné par une œuvre de Robert Mongomery, mettant en lumière un de ses poèmes évoquant à la fois les prisons réelles et mentales. « Mieux vaut la pluie sur les fenêtres du château que le Château lui-même »  Il nous invite également à nous interroger sur nos engagements: « Mieux vaut être brûlé que capturé ».

Robert Montgomery
Laure Tixier

Résonances

Chaque pièce de l’exposition fait écho à une autre. Dans le couloir, à même le mur, on aperçoit un énigmatique dessin crayonné par Laure Tixier, évoquant les fanons d’une baleine. Mais que cela peut-il signifier? C’est dans la salle suivante, sur l’un des clichés de Victor Fatio, que l’on obtient la réponse: il s’agit du portail de la prison de Champ-Dollon, établissement dans lequel l’intégralité des photographies a été prise. Ici, on est plongé dans l’univers froid et stérile du monde carcéral qui, à plusieurs égards, peut rappeler celui des hôpitaux. Une certaine poésie se dégage pourtant, incarnée sur une image par un brin de verdure, sur une autre par des flocons de neiges… Le photographe a néanmoins pris le parti de ne pas montrer les prisonniers, renforçant ainsi le sentiment d’isolement. On retrouve cette démarche dans le film d’Ali Kazma qui, à la manière de caméras de surveillance, capture les pièces et couloirs d’une prison située à l’est d’Istanbul. Ici aussi: aucune prise de vue frontale des détenus. Leur présence ne peut être décelée que par l’intermédiaire des vidéos de surveillance disséminées dans l’établissement et évoquée que par les objets personnels laissés dans les cellules. Cette absence d’être humain met en exergue ce sentiment de déshumanisation déjà induit par la nature des lieux. Car au fond, toutes les prisons se ressemblent: leur architecture même est conçue pour optimiser le contrôle des détenus et gommer leur individualité. Ce constat est d’autant plus flagrant en observant les œuvres de Laure Tixier. Les formes noires et abstraites accrochées aux murs stimulent notre imagination (que représentent ces symboles?) jusqu’à ce que l’on se rende compte qu’elles sont calquées sur les plans architecturaux de différents lieux de détention.

L’art, ciment de l’humanité

Si l’imagination nous joue parfois des tours, il en est toutefois largement question au sein de l’exposition car elle revêt peut-être pour l’âme humaine – d’autant plus dans des conditions carcérales – de propriétés salvatrices. Une salle expose les créations de prisonniers politiques: des objets conçus durant leur détention à l’insu des gardiens, fabriqués à base de bout de ficelles, de mies de pain et de tout autre matériau récupéré. Ces réalisations qui, réunies ensemble, rappellent étonnamment les arts tribaux, témoignent avec force du besoin fondamental d’expression et apparaissent comme des symboles de résistance. Privés de liberté, privés d’exprimer leur opinion, les détenus trouvent dans la création un moyen de survivre. Les témoignages poignants de ces détenus, capturés par Joana Hadjithomas & Khalil Joreige sont diffusés sur deux écrans.
Victor Fatio
Ali Kazma

Curiosités carcérales

Les dessins de Patrick Tondeux, dessinateur de presse, nous invitent à observer les détenus de la prison de Champ-Dollon dans leur vie quotidienne. La technique du dessin permet de poser un regard affranchi du sentiment d’intrusion dans leur sphère privée tout en dévoilant leurs portraits. La visite se termine par une salle exposant les objets créés par des détenus de la prison de Champ Dollon. Pour la plupart, ces objets ont été confisqués car contraires au règlement de l’établissement. Le contexte est ici complètement différent de celui des prisonniers politiques. Les objets créés avec ruse sont utilitaires et non plus purement artistiques. Présentés presque tels que dans un cabinet de curiosités, ils témoignent de la vie en prison et de l’ingéniosité dont font preuve certains pour échapper au cadre qui leur est imposé.

Que ce soit par le regard extérieur d’artistes ou par celui des personnes incarcérées, l’art ici présenté nous interroge sur la condition humaine, mettant en lumière l’humanité qui réside en chacun. L’exposition offre au visiteur une multitude d’angles de vues sur un thème souvent ignoré – peut-être par commodité – remettant en question le concept même d’enfermement. Une expérience enrichissante à vivre soi-même jusqu’au 15 décembre 2018 au Château de Penthes.

La prison exposée: Champ-Dollon à Penthes 
Chemin de l’Impératrice 18 1292 Pregny-Chambésy
http://www.penthes.ch/musee

Laure Tixier

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