Matières complémentaires
Pour l’exposition L’intranquillité, la galerie Baart a créé un dialogue entre les œuvres de Michael Rampa et Christian Gonzenbach. Dans des jeux de matières propres à chacune de leurs techniques, les deux artistes suisses créent de nouvelles narrations à partir d’éléments déjà existants.
Chez Michael Rampa, l’important n’est pas de créer une image, mais plutôt un processus pictural. Dans son cheminement, l’image reste en construction, comme une esquisse qui continuerait d’évoluer dans l’esprit du spectateur. On a l’impression que l’artiste ne fige pas la scène qu’il peint dans le temps, mais qu’il nous livre un nouveau récit en assemblant des personnages sur une toile. Le fait de créer une composition à partir des croquis réalisés en amont apporte une autre temporalité à l’œuvre. En effet, l’artiste ne prend pas de photo, il capture de manière précise la silhouette de ses modèles posant dans son atelier pour ensuite l’agrandir sur des toiles monumentales. Ainsi se forment des scènes souvent inspirées par l’histoire de l’art avec des contemporains de l’artiste qui, parfois, ne se sont jamais rencontrés. Cet anachronisme, on le retrouve dans le travail de Christian Gonzenbach qui utilise des porcelaines vintages qu’il mêle à de l’aluminium pour sa série Hanabi.
Christian Gonzenbach, Hanabi, 2021
Jeux de matières
Qu’il s’agisse de peinture ou de matières minérales, les matériaux opposés se subliment mutuellement. On dit souvent que les pleins ne peuvent pas exister sans les vides, alors il en va de même pour le contraste qui subsiste entre la céramique, précieuse, et l’aluminium, plus commun. De la même manière, les couleurs vives des toiles de Michael Rampa sont sublimées par les tons rompus. Ces camaïeux de tons fonctionnent comme une perspective. Ils dessinent l’espace tout en créant un lien entre les personnages, à l’image des cavités et protubérances qui organisent une sculpture.
Fleurs de feu
Dans la série Hanabi de Christian Gonzenbach, les fleurs naissent des flammes. C’est dans cette ironie que réside toute la poésie de ces œuvres. Des fleurs métalliques surgissent du vase comme pour en faire la prolongation du décor. Avec le terme « hanabi » signifiant feu d’artifice en japonais, l’artiste genevois ne pouvait pas trouver mieux pour désigner ces éclats éphémères. À la manière d’un projectile prêt à s’embraser, les porcelaines sont remplies d’aluminium, puis enterrées dans du sable. Sous la pression thermique, la porcelaine éclate libérant le métal qui se fraye un chemin dans le sable, telles des racines d’arbres.
Interactions protectrices
L’idée de prendre soin de l’autre fait partie intégrante de l’œuvre de Michael Rampa, que ce soit autour des thèmes de l’écologie ou des minorités. La nature est omniprésente dans la majorité de ses toiles. On y retrouve souvent un personnage central qui prodigue ou reçoit un soin. Parfois, ce dernier prend une pose mystique, comme on peut le constater dans Orant. Ici, une femme se tient en position de prière, on a l’impression qu’elle régit une harmonie dont les autres protagonistes sont témoins. La nature se fond dans les êtres par le biais de coulures. Peut-on voir dans cette fusion une désacralisation de cette dernière? En la liant ainsi aux affects humains, elle semble révéler une vulnérabilité commune, apparaissant comme une entité qu’il faut cultiver et protéger.
De son côté, Christian Gonzenbach revalorise des vases vintages oubliés auxquels on ne prêterait plus attention sans son intervention artistique. Donner une nouvelle vie à un objet rappelle l’art du Kintsugi qui consiste à réparer des céramiques grâce à des feuilles d’or. Ici, les poteries perdent leur fonction utilitaire et se transforment en œuvres grâce à l’artiste, leur rendant leurs lettres de noblesse.
Michael Rampa, Orant, 2021-2023
Cycle théâtral
Dans les toiles de Michael Rampa, on assiste à des scènes de vie qui se croisent et se superposent, le tout formant un chapitre d’une histoire qui continue de s’écrire. Des scènes évoquant Saint Sébastien soigné par Sainte Irène attribué à Nicolas Regnier, La lamentation sur le Christ mort (1490) de Botticelli ou encore Le déjeuner sur l’herbe (1862) de Manet dépeignent les interactions sociales qui se perpétuent de manière cyclique. La figure de la mère ou de Sainte Irène est personnifiée par une amie de l’artiste, quant au Christ ou Saint Sébastien, il est interprété par un ami ou encore une élève. De cette manière, le temps devient élastique et illustre notre histoire classique et contemporaine sur un même plan.
De manière générale, la main occupe une place centrale dans L’intranquillité. Littéralement ou au figuré, les personnages et les matières interagissent entre eux comme l’indique le préfixe du titre de l’exposition. Cette notion de réciprocité se ressent par le contact constant entre les éléments des œuvres. Comme Fernando Pessoa l’a développé dans son livre L’intranquillité – une introspection méditative sur le monde qui l’entoure – cet accrochage met en lumière une paix intérieure qui se transmet et se partage.
L’intertranquilité, à découvrir jusqu’au 17 décembre à la Galerie Baart – Rue du Nant 6, 1207 Genève
Michael Rampa, Sipario (muriel as irene), 2023
Michael Rampa, Healing of Lucifer, 2023
Christian Gonzenbach, Hanabi, 2022
Michael Rampa, Sophie Curing, 2023