Mirage architectural
Avis aux amateurs de photos d’urbex ! Les images qui vont suivre risquent de ravir leur mirette ! Entre Ecomostri et site industriel désuets, la nature est souvent défigurée par la désertion de ces lieux. En réponse à ce désastre, les photographes créent des narrations autour des bâtiments abandonnés et autres curiosités architecturales. Ainsi, les infrastructures que nous connaissons deviennent vestiges du présent. Zoom sur quatre artistes qui ont su suspendre le temps dans leurs clichés.
Entropie frauduleuse
Il y a plusieurs années, l’artiste française Amélie Labourdette présentait Empire of Dust, une série de photos portant sur le thème des Ecomostri. Ce néologisme, « monstre écologique », désigne des constructions ou des bâtiments abandonnés en Italie posant de nombreux problèmes écologiques à cause de leur dégradation. En effet, un ecomostro est le fruit de spéculations immobilières frauduleuses, souvent générées par la mafia, qui entachent les paysages italiens. Comme témoins d’un dysfonctionnement étatique, ils apparaissent comme la matérialisation du détournement des fonds publics. L’artiste s’est rendue dans les régions de Sicile, de Calabre, de Basilicate et des Pouilles pour capturer ces curiosités architecturales qui se dégradent au fil du temps. Ces édifices s’apparentent à des sculptures perdues dans une temporalité flottante, entre présent et futur car on ne sait pas s’ils sont inachvés ou en construction. Ils sont à la fois distopie et utopie. C’est au spectateur d’imaginer l’histoire qui les entoure.
Paysages dystopiques
L’artiste britannique Gayle Chong Kwan nous présente des images construites d’un lieu qui est en partie mythe ossianique et en partie dépositaire de projets immobiliers abandonnés. Bien que l’île obsidienne soit fictive, elle rappelle les bâtiments abandonnés qui redessinent les horizons de la Sicile et de la Sardaigne. Comme surgi d’un paysage désertique, ces édifices pourraient laisser croire qu’une catastrophe les aurait vidés de leurs occupants. La tour de 91 mètres Tate Tower est en réalité une construction fictive érigée au sommet d’Ibrox Hill dans le parc Bellahouston à Glasgow. Réalisée en seulement 9 semaines dans le cadre de l’exposition Empire, Ecosse 1938, elle fut démontée en 1939. Tout comme un décor de cinéma, cette construction éphémère s’apparente à une maquette dans la photo de Gayle Chong Kwan. Le fait qu’elle n’était pas destinée à être habitée rappelle les « ecomostri », que l’on peut voir partout en Italie.
The Obsidian Isle, Tate Tower, 2011, Gayle Chong Kwan
Archéologie en suspens
La photo Memory Mirror de l’artiste espagnol Jorge Conde fait écho à celle de Gayle Chong Kwan. Cette dernière est issue d’une série de clichés s’appuyant sur une enquête portant sur une sélection d’institutions suisses apparues suite à la rénovation de sites industriels obsolètes et désaffectés. La quête de l’artiste se penche sur l’impact des bâtiments sur la société. Quel rapport ont-ils avec le paysage et quel est leur rôle dans la préservation de la mémoire du territoire? La recherche archivistique et le travail sur le terrain ont été essentiels pour explorer le passé et le présent de ces institutions. Ici, l’ambiance et la composition mystérieuse de la photo a quelque chose de dérangeant. On ne sait pas si le décor est artificiel, ou s’il s’agit d’un photomontage.
Memory Mirror, 2020, Jorge Conde
Eclipse éternelle
Présenté à la Kunsthalle de Vienne et à la galerie Analix Forever, le film Chronique du soleil noir raconte un futur dystopique où les humains ont dû masquer le soleil afin de survivre au climat aride de la Terre. Les survivants sont alors plongés dans une éclipse perpétuelle, se réfugiant dans les caves des grands observatoires. Ainsi, les protagonistes décident de recréer, au moyen d’un logiciel d’intelligence artificielle, des images de la vie sur Terre auparavant. Ils se basent sur les photographies personnelles de la dernière femme ayant connu la vie terrestre ensoleillée et des images publicitaires. Pour cette réalisation, Gwenola Wagon s’est inspirée du photo-roman du film La Jetée (1962) de Chris Marker. Co-écrit avec Pierre Cassou-Noguès, l’artiste nous invite à nous remettre en question sur le mode de consommation non durable et sur la pérennité des ressources vitales.