Nina Childress: du punk à l’Académie des Beaux-Arts
Figure incontournable de l’art figuratif, Nina Childress a été intronisée à 64 ans à l’Académie de beaux-arts en juin dernier. En plus de 40 ans de carrière, l’artiste franco-américaine a su créer une œuvre inclassable où les références à la culture populaire sont traitées avec virtuosité. Retour sur un parcours hors du commun.
Fidèle à elle-même, l’artiste n’a rien perdu du panache de ses années punks. Toujours en phase avec son époque, elle a décidé d’orner sa veste d’académicienne avec des branches d’olivier stylisées phosphorescentes. Bousculant légèrement la coutume, l’artiste a choisi de mandater le studio About a Worker en collaboration avec l’association féministe « La Maison des femmes de Paris », un espace d’accueil solidaire dont les objectifs sont de favoriser l’accès aux droits, la capacité d’agir et l’autonomie des femmes. Ne voulant pas posséder d’épée, elle a demandé que cette dernière soit remplacée par une baguette magique ornée d’une étoile dont les LED servent à illuminer les broderies de sa veste. Et surprise, à la fin de la cérémonie de son installation, la pianiste Yoko Yamada a interprété Aria pour Nina, composée par Régis Campo, sur un Célesta accompagné de jouets en plastique sonores.
Nina Childress, le 25 juin 2025 à l’Académie des Beaux-Arts
I love You Fuck off
Très jeune, l’artiste découvre le groupe Bazooka et rêve d’être punk, bien que ce mouvement fût déjà démodé. Au début des années 1980, elle passe le concours des Arts Décoratifs à Paris, c’est là qu’elle rencontre Lolo, futur illustrateur des Bérurier Noir, et Masto, futur saxophoniste du même groupe, avec qui elle se mettra en couple jusqu’en 1984. Ensemble, ils formeront le groupe Lucrate Milk en 1981, et seront rejoints peu de temps après par le batteur Gabo. A cette époque, aucun d’entre eux ne sait réellement jouer d’un instrument, mais leur point fort se situe avant tout dans les arts visuels. Masto maîtrisait la photographie, c’est d’ailleurs lui qui a offert à Nina Childress sa première toile, lorsqu’elle avait 19 ans. Depuis ce jour, l’artiste n’a jamais arrêté de peindre. Elle s’inscrit également aux Beaux-Arts où elle suit assidûment uniquement les cours qui l’intéressent vraiment durant 5 ans. Comme aux Arts Décoratifs, elle ne termine pas ses études. Malgré tout, elle reste très assidue dans sa pratique artistique et décroche sa première exposition personnelle en 1983 à la fondation Boris Vian. Ce tremplin l’encourage dans sa pratique, car sa production phénoménale l’a conduite à peindre des milliers de toiles tout au long de sa carrière. En parallèle de sa carrière de peintre naissante, l’artiste mène une vie décousue ponctuée d’excès. Sur scène, Nina joue de l’orgue à main, chante et beugle ses textes en anglais tinté d’un accent cockney. Cela la poussera à changer de cap après la séparation du groupe en 1984. Plus tard, elle décide de se consacrer pleinement à son art et rejoint le collectif Les Frères Ripoulin en 1985.
L’enterrement, 2011. Vue de l’exposition Body Body, 2021-2022, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Bordeaux. Photos : Jean-Christophe Garcia
La chevelure sous toutes ses coutures
Nina Childress dit fonctionner avec des obsessions dont la plus grande reste sans aucun doute les cheveux ! Mais d’où vient cette passion pour la pilosité ? L’artiste naît en 1961 à Passadena dans une famille composée d’un père mathématicien et d’une mère évoluant dans la publicité. Elle s’installe définitivement en France en 1966 avec sa mère et son frère. Dès son plus jeune âge, l’artiste évolue dans un univers artistique très stimulant : sa grand-mère paternelle était peintre, tout comme le troisième mari de sa grand-mère maternelle. Enfant, ses centres d’intérêts sont déjà très variés. Elle s’intéresse tout autant à la danse qu’aux cheveux de ses poupées qu’elle coiffe durant des heures. Elle confiera qu’à cette époque elle aurait voulu être coiffeuse, car elle admirait la chevelure de sa tante tout comme celle de Sylvie Vartan. S’inspirant des figures de la Pop Culture qui ont marqué sa jeunesse, l’artiste s’est concentrée sur leur pilosité, car cette dernière a le pouvoir d’ancrer visuellement une personne dans une temporalité bien définie. Férue de musique et de cinéma, des personnalités telles que Sylvie Vartan et Patrick Juvet reviennent fréquemment dans les toiles de l’artiste. Autre fait : la maîtrise de la peinture capillaire traduit une certaine virtuosité chez un peintre. La chevelure, qui devient un gage de savoir-faire, elle va la peindre sous toutes ses coutures, allant jusqu’à la dissocier de la tête, tel un scalp pictural. Parfois, de réels cheveux sont insérés dans ses peintures.
Sylvie (grosse tête), 2018 // Les Blondes IV, 1997 // Les fesses de simone de beauvoir, 2008
Colorimétrie psychédélique
Dans une abondance de techniques hétéroclites, l’artiste dépeint les icônes de la culture populaire. Des supports holographiques à la peinture acrylique phosphorescente en passant par l’huile traditionnelle, l’artiste maîtrise le pinceau avec brio. En plus d’être à l’aise avec ces différents médiums, elle a la capacité de passer du figuratif à l’abstrait, tout en restant dans une colorimétrie qui lui est propre. Il y a une iridescence que l’on retrouve dans chaque œuvre. Même les huiles sur toiles ont une vibration psychédélique. Si l’on se penche sur les paysages et intérieurs peints entre 2007 et 2010, on remarque qu’une foison de nuances compose chaque couleur. Dans Cathédrale (2008), la structure de l’édifice semble vibrer, tellement les teintes se superposent, tout comme le parquet de Grande Chambre verte (2007). Ces couleurs irréelles convoquent des souvenirs sous acide propres à la période punk de l’artiste. On retrouve ce chaos hallucinatoire dans les compositions de certaines toiles, où un élément imaginaire ou un objet surdimensionné surgit aux côtés du sujet principal. Il arrive que l’artiste réinterprète une de ses toiles, c’est le cas avec Les fesses de simone de beauvoir (2008) où le corps est peint de manière réaliste, puis se transforme en composition bien plus spontanée dans salop (2008). Parfois, une toile comme Runaways (2022) donne naissance par la suite à une composition complètement abstraite telle que Triangle Runaways (2022).
Grande Chambre verte, 2007
Enfant terrible de l’académie
En menant sa carrière comme elle l’entendait, Nina Childress a su s’introduire dans le marché de l’art. De nombreuses institutions lui ont consacré des expositions monographiques, dont des rétrospectives mémorables telles que Cils, poils, cheveux au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds. De chanteuse punk dans des squats parisiens, elle est nommée chef d’atelier à l’académie des Beaux-Arts de Paris en 2019. Dans un style inclassable, l’artiste a créé une œuvre unique, libre de tout dictat.