Pop musique, art & Co

par 15 mai 2020Art & société, Art contemporain

Avec Jay-Z et Beyoncé tournant un clip au sein du Louvre et Damien Hirst sur le tournage d’un clip de Blur, il y a comme une inversion des rôles. Les collaborations entre artistes et musiciens n’ont rien de nouveau si l’on pense à Andy Warhol prenant les rennes de la vidéo Symphony of Sound du groupe The Velvet Underground & Nico. Quand les pop stars empruntent les codes des artistes et que l’art visuel s’introduit dans la scène musicale, il y a comme un parfum de déjà vu. Retour sur les collaborations les plus mémorables.

Du rock psychédélique au Hip Hop KawaÏ

Dans les années 1960, la proximité entre le monde de la musique et de l’art est beaucoup plus marquée. Durant la guerre du Vietnam, les artistes et musiciens s’engagent dans une lutte commune contre la violence et la guerre. Il y a comme une rupture avec les générations précédentes qui les rapprochent. Si l’on cherche une image marquante de la rencontre entre l’art visuel et la musique, le couple John Lennon et Yoko Ono vient à l’esprit. A cette époque, une décennie après ses études à la Liverpool College of Art, le leader des Beatles prend à nouveau plaisir à visiter des galeries après plusieurs années où il se considérait anti-art, une philosophie prenant source dans le dadaïsme. Cet enclin séduit Yoko Ono, qui fait  alors partie de Fluxus. Mais les liens entre l’art et la musique ne s’arrêtent pas à une histoire d’amour. En 1966, Andy Warhol réalise le clip du groupe de rock psychédélique The Velvet Underground & Nico. Il y a un côté hypnotisant dans la vidéo Symphony of Sound où la caméra effectue des zooms et des mouvements en rythme avec la musique, créant des plans abstraits. L’artiste crée ainsi une parfaite harmonie entre l’image et le son. C’est le début d’une nouvelle ère où les chansons seront inéluctablement accompagnées d’une vidéo à la mise en scène plus ou moins intéressante comme le chantait The Buggles en 1979:Video Killed The Radio Star”. Certains musiciens font allusion à des tableaux, comme dans Shine on your crazy Diamond des Pink Floyd, s’inspirant entre autre de Magritte et De Chirico. En 1983, New Order fait appel à William Wegman pour le clip de Blue Monday 88. On y retrouve tout l’univers canin du photographe ponctué de croquis et de scènes absurdes. Ces collaborations permettent aux artistes visuels d’atteindre un nouveau public.

Plus récemment, le hip hop, dont les fondamentaux mêlent danse, street art et musique, tisse des liens avec le monde de l’art. Une situation plutôt naturelle, car beaucoup d’artistes contemporains ont grandit avec cette musique. Certains rappeurs, ayant tendance à s’embourgeoiser, s’approprient les codes de la haute couture et tournent leurs clips dans des musées. Nous sommes bien loin des origines urbaines de cette culture. Ils créent ainsi un pont entre des univers que tout opposait jusqu’a présent, rajeunissant l’image de certains créateurs. Maintenant, Beyoncé porte des robes Givenchy sur scène tout comme dans son clip Formation. En 2018, le Louvre ouvre ses portes au tournage du clip des Carters Apeshit. Le couple et ses danseuses évoluent devant des oeuvres iconiques allant de La Joconde à La victoire de Samothrace. Le Louvre a d’ailleurs proposé une visite guidée d’une heure et demie autour des 17 oeuvres apparaissant dans le clip. Cette action a pour but de toucher une clientèle plus jeune, peu habituée à fréquenter les musées. L’intérêt du couple pour l’art n’est pas nouveau. Avec ce clip, ils font sauter les clichés qui subsistent encore autour de la culture afro-américaine. D’ailleurs, l’une des dernières scènes prend des allures de revanche où Beyoncé, coiffée d’un tignon est suivie d’un plan sur le Portrait d’une jeune femme noire de Marie-Guillemine Benoist. Cette oeuvre fut initialement intitulée Portrait d’une négresse. Avec ce clin d’oeil à une époque où les noirs n’étaient pas autorisés à pénétrer dans les musées, les Carters assoient leur réussite, d’une façon mégalomane certes, mais surtout pour des raisons nécessaires.

Parmi les collaborations inattendues, on citera la performance Picasso Baby de Jay-Z, inspirée deThe artist is present de Marina Abramovic, à la galerie Pace de New York. Le rappeur s’est produit durant six heures avec l’intervention de diverses personnalités de la scène artistique, tels que Marilyn Minter et Bill Power, sans oublier bien sûr Marina Abramovic. Le musicien rend ainsi plus étroits les liens entre le hip hop et l’art contemporain, bien qu’il ne soit pas le premier à recourir à un artiste internationalement connu. En 2007, Kanye West fait appel à Takashi Murakami pour la réalisation d’un film d’animation intitulé Good Morning. D’ailleurs, l’artiste Japonais à également réalisé la couverture de l’album Graduation. Ici, c’est plus la musique qui illustre la vidéo que l’inverse. On suit les mésaventures d’un ourson dans un univers à l’esthétique superflat chère à Murakami. Quand on parle d’univers décalé, on ne peut omettre le magazine Toilet Paper. Maurizio Cattelan a d’ailleurs réalisé Action, un clip inoubliable,  pour les disc jockeys français Cassius. On y entrevoit notamment des références aux travaux de l’artiste et son ami Pierpaolo Ferrari.

Quand les artistes poussent la chansonnette
Certain artistes vont jusqu’à pousser la chansonnette, mais pas toujours pour le meilleur. Dans les reconversions tombées dans l’oubli, on retrouve notamment Sonne statt Reagan de Joseph Beuys, un rap pamphlétaire sans doute plus agréable à lire qu’à écouter. Dans un autre genre, Des formes et des couleurs du groupe techno déjanté Salut c’est cool a certainement été conçu sous acide. Ce clip au kitsch assumé est le fruit d’une collaboration d’un groupe d’amis parisiens sortis d’écoles d’art appliqué. Heureusement, toutes les reconversions musicales ne tournent pas en eau de boudin. M.I.A. en est la preuve vivante. Formée à la prestigieuse Central Saint Martins College of Art and Design de Londres, c’est en musique qu’elle se révèle. Artiste engagée, elle se crée un univers graphique sur un fond politico-décalé. Dans son premier clip Galang, elle danse devant des illustrations animées réalisées au pochoir. Par la suite, et avec beaucoup plus de moyen, ses clips feront le buzz. En 2016, Borders, faisant allusion aux migrants traversant la Méditerranée ne manquera pas de se faire remarquer. Mais le plus mémorable reste Born Free. Une escouade militaire vient chercher brutalement des gens à leur domiciles. Au fur et mesure de la vidéo, on découvre que les personnes recherchées sont toutes masculines et rousses. L’artiste transpose avec cette mise en scène les violences et les discriminations dont sont habituellement victimes d’autres peuples à nos sociétés occidentales. 

L’image fabriquée de la pop musique
Alors que les artistes contemporains ressemblent plus à des femmes ou hommes d’affaire, les musiciens s’affublent d’accoutrement de plus en plus surprenants. Comme si l’image était plus importante que la musique elle-même, certaines musiciennes, influencées entre autres par des artistes de K-Pop tels que Kyary Pamyu Pamyu, semblent n’avoir d’original que leur look. Lady Gaga nous l’a bien démontré, pour se faire remarquer, il faut choquer. On ne vent plus de la musique, mais une image avec ses produits dérivés. On cherche un public cible qui pourrait s’identifier à un nouveau musicien dont l’image fabriquée de toute pièce répond à un marché. En 2013, Lady Gaga a fait appel à Jeff Koons pour réaliser la couverture de son album Artpop. Entre ses jambes, elle tient une boule bleue chromée de la série Gazing Balls, comprenant des répliques de sculptures antiques et toiles de maître. Cette série d’oeuvres, en passant, a donné naissance à une collaboration avec le malletier Louis Vuitton. Comme quoi l’art contemporain, la musique et la mode resteront intimement liées, du moins commercialement.

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