Surréalisme identitaire

par 14 juillet 2023Art contemporain

De longues jambes traversant les murs, des corps fusionnant avec les éléments ornementaux de nos intérieurs…Nous voilà bien dans l’univers surréaliste de l’artiste canadienne Shannon T. Lewis. Dans son œuvre engagée, la beauté devient une revendication identitaire, faisant voler en éclat les derniers sursauts du racisme.

Née à Toronto de parents originaires de Trinita-et-Tobago, Shannon T. Lewis a toujours su naviguer entre la culture caribéenne et la culture nord-américaine. Après des études à Londres, elle s’installe à Berlin où elle y vit et travaille. Pour cette artiste issue de l’immigration, il y a une réelle volonté de faire de la peinture figurative, notamment à travers le portrait. Durant de nombreuses années, le corps noir a été objectivé, représenté essentiellement par l’œil occidental. L’artiste avoue qu’elle a bien souvent eu de la peine à trouver des modèles aussi bien dans la culture populaire que dans l’art. 

Aujourd’hui, elle trouve ses sources d’inspirations dans les magazines de mode ou d’architecture, dans lesquels elle retrouve tous les codes et structures de la société. Elle découpe les images qui l’interpellent en les assemblant de manière surréaliste. On peut clairement noter qu’elle s’est réapproprié ce mouvement datant du siècle dernier de manière très personnelle. Elle ne peint pas des femmes noires pour rattraper le temps, mais pour rendre leur beauté universelle.  Pour Shannon T. Lewis, la beauté est une forme de résistance, d’autant plus dans un contexte où le colonialisme a laissé de profondes marques. Dans ses toiles, les personnages s’entourent d’objets design et de créations de mode qui étaient réservés autrefois aux classes bourgeoise blanches. De cette manière, les populations brimées prennent leur revanche sur un passé truffé d’injustices et d’inégalités.   

 

Like They Have No Century, 2022
Unpublished Matter, 2021

Vivant au Canada et issue d’une famille caribéenne, l’artiste s’est souvent retrouvée entre deux mondes. L’influence occidentale peut d’ailleurs être perçue dans ses photos de familles, où les membres évoluent dans une atmosphère typiquement britannique. Cela va du sofa Chesterfield au petit frère sur son cheval à bascule. C’est durant ses études en Angleterre qu’elle réalise à quel point la pensée anglophile et coloniale l’a influencée. Pour elle, il faut parfois s’éloigner d’un lieu pour le comprendre. C’est un autre aspect de la migration qui s’applique d’ailleurs à son pays d’origine qu’elle ne connait que part le récit de ses proches.

Dans un surréalisme qui lui appartient, l’artiste intègre des fragments de corps dans des éléments architecturaux. Ses personnages sont des maîtres de la métamorphose, il leur pousse des jambes et des bras lorsqu’ils en ont besoin et ils les perdent lorsqu’ils deviennent inutiles. Peut-on y voir un parallèle avec notre propre capacité d’adaptation? Ici, les corps fusionnent avec le décor, ils ne font  qu’un avec leur environnement. Cette fusion annonce-t-elle une utopie où chaque être se sentira bien dans le lieu où il vit et parfaitement à sa place dans la société où il a choisi d’évoluer? On espère que les toiles de Shannon T. Lewis auront raison de la xénophobie ambiante qui ternit nos sociétés.

Shannon T. Lewis est représentée par la galerie Mariane Ibrahim

 

Shannon TLewis Protective Colouration Wherever It Might Be Found, 2021
Up from the Roots, 2021

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