Quand on évoque mounir fatmi, on ne peut s’empêcher de penser à ses sculptures et installations sur le thème de la liberté d’expression et de la censure. Ses oeuvres, qu’elle soient matérielles ou immatérielles ont pour point commun des concepts percutants et des images fortes. La vidéo est son médium de prédilection. Au contraire d’un tableau dont l’image reste fixe, immuable, un écran laisse toujours la possibilité d’être éteint et donc, d’en faire disparaître l’oeuvre, de lui donner vie ou non à un moment choisi. Avec la vidéo, il peut affirmer que la réalité n’existe pas, qu’elle n’est qu’une illusion, un piège esthétique qui se referme sur le spectateur mais qui disparaît à la fin du film.
Un concept qui séduit l’artiste et qu’on retrouve dans son choix de matériaux pour ses oeuvres palpables: câbles d’antennes, cassettes vhs et autres objets qui commencent à se faire rares dans le paysage numérique actuel.
On retrouve dans Save Manhattan (2008-2009) l’idée de l’illusion. Manhattan se dessine grâce à l’ombre d’objets électroniques disposés de manière à créer la silhouette de sa skyline avant le 11 septembre. Les enceintes diffusent des sons créant un sentiment d’insécurité, ponctué de messages radio présageant un danger imminent. Les bruit d’hélicoptères nous donnent l’illusion que l’on survole la ville. Ils renforcent ainsi l’ambiance chaotique qui règne sur la ville.
Le langage et la calligraphie sont très présents dans le travail de mounir fatmi. Les mots utilisés nous poussent à une interprétation métaphorique tandis que les phrases évoquent toujours un concept sous-jacent. Dans Les temps modernes, une histoire de la machine (2010), l’artiste met en lumière la révolution qui s’opère depuis 2011 dans la monde arabe. Il a créé une machine qui rappelle celle de Charlie Chaplin, qui se veut belle mais aussi violente et dangereuse. On retrouve à plusieurs reprises ces roues calligraphiques dans son travail. Imprégné par la philosophie de Ludwig Wittgenstein et ses Jeux de langage, l’artiste considère qu’inventer un langage équivaut à créer un jeu et une machine. Les lettres deviennent donc les rouages d’une machine destructrice.
Manipulation (2004)
Prônant la non-idéologie, mounir fatmi aime jouer avec les symboles. Dans Manipulation (2004), on découvre des mains qui manipulent un Rubik’s Cube représentant la Kaaba. La profession de foi irrationnelle des croyants les poussant à marcher autour de l’édifice est ici comparé aux stratégies rationnelles de joueurs résolvant le célèbre casse-tête. Le thème de la religion et des objets de culte est récurrent dans le travail de fatmi. Est-ce dû à son enfance dans la maison de son père à Tanger? L’artiste confie avoir eu pour seuls objets culturels des calligraphies, le Coran et un portrait du roi Mohamed V qu’il croyait être membre de la famille. Ces objets étaient si sacrés qu’il n’était pas en droit de les toucher, ses mains considérées comme n’étant jamais assez propres. Cela a mené l’artiste à se poser des questions sur le monde et sur le rapport qu’entretient l’homme avec la foi. Qu’avons-nous le droit de faire? Peut-on faire sortir des versets d’un livre sacré et les déplacer dans un autre lieu comme le musée? Peut-on les présenter sous une autre forme?
Les oeuvres de mounir fatmi poussent le public à réfléchir et aller plus loin que ce qu’il voit. La liberté d’expression est l’un des thèmes principaux de son travail. Dans Les ciseaux (2003), l’artiste dévoile les scènes d’amour coupées du film Une minute de soleil en moins. La notion de mémoire et d’archive est présente dans cette vidéo, en écho aux matériaux utilisés dans les installations, mais c’est avant tout une critique frontale de la censure. Dans Sleep – Al Naim (2005-2012), l’artiste remet à nouveau en question ce qui existe ou pas. Sleep, la vidéo originale d’Andy Warhol, présente le poète John Giorno endormi. Dans un remake, fatmi décide de présenter Salman Rushdie, figure de la liberté d’expression. N’ayant pu obtenir son contact, il décide de le représenter dans un état de sommeil en images de synthèse. Au début de la vidéo, on ignore si l’écrivain est vivant ou mort. Une manière d’évoquer sa situation difficile, de la comparer, alors qu’il utilisait pour se protéger le pseudonyme Joseph Anton, à celle d’un fantôme.
A l’instar de Salman Rushdie et de ses versets sataniques, l’art de mourir fatmi à aussi été jugé comme blasphématoire par certains. Alors qu’il présentait Technologia (2010) au printemps de Septembre à Toulouse en 2012 qui avait pour thème L’Histoire est à moi, l’artiste s’est retrouvé contraint de retirer son installation. L’histoire n’est pas à moi (2013) est une réponse à cet incident où l’on découvre un secrétaire s’échinant à taper un texte sur machine à écrire avec deux marteaux. L’artiste considère d’ailleurs que lorsqu’une oeuvre est censurée, elle devient en partie l’oeuvre de ses censeurs: on ne la voit plus qu’à travers le voile de la censure.
Parmi les 50 vidéos présentées, on découvre aussi des films plus proches du documentaire où l’artiste montre ce que l’on essaie de cacher. Embargo, (1997), traite de la souffrance des peuples tandis que Thérapie de groupe, (2002-2003) compare deux manifestations organisées respectivement à Paris et à Rabat. Dans les vidéos de mounir fatmi, les travers de nos sociétés et l’absurdité de la condition humaine sont critiquées mais aussi sublimées.
This is my Body, jusqu’au 30 novembre, au LOFT:
Route des Jeunes 43, Genève
L’histoire n’est pas à moi, 2013
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