Vagabondage méditerranéen

par 31 mai 2025À la une, Art contemporain

Avec les premiers rayons de soleil, l’envie de se pencher sur le patrimoine culturel et artistique des régions ensoleillées est irrésistible. Zigzaguant entre les ruines témoins de notre histoire, à l’ombre des pins parasol, une seule envie: vagabonder! Zoom sur cinq artistes qui ont su faire parler leur héritage à travers leur art.

Tarragone

Née en 1952 à Tarragone, l’artiste catalano-vénézuelienne Mariaelena Roqué crée une rencontre entre les arts visuels et ceux de la scène. Dans sa pratique, l’artiste critique la position de la femme dans notre société patriarcale. Le musée d’art moderne a su faire dialoguer les œuvres de l’artiste avec sa collection permanente dans une rétrospective haute en couleurs! Les installations de Mariaelena Roqué supportent des robes s’apparentant à des costumes de théâtre. Elles rappellent des figures papales avec Antipapas, mais aussi à des entités païennes, notamment avec la performance Ampulleriia qui donnera naissance à la vidéo Donaulls Donaulls (2019). Ici, on y découvre l’artiste traînant des mannequins en carton enchaînés dans une rizière asséchée à Aldea. Le terme “ampulleria”, signifiant ampullaire en catalan est le nom scientifique d’un mollusque d’eau douce. Dans une procession qui semble on ne peut plus pénible, l’artiste amène les mannequins dont la texture s’apparente à des ossements dans une coquille géante vide. Lors de son périple, elle chute et s’affale sur un des corps, comme s’il s’agissait d’un être perdu. Dans cette œuvre, l’artiste dresse un triste constat sur le manque d’eau dans les régions du Sud. En effet, depuis quelques années la Catalogne, comme beaucoup de régions méditerranéennes, manque cruellement d’eau.

Derrière cette mise en scène métaphorique réalisée dans le delta de l’Èbre, on peut déceler une deuxième lecture bien plus sombre. Sur ces terres, bon nombre de corps sont tombés lors de la bataille de l’Èbre en 1938. Le grand-père de Mariaelena Roqué y est décédé, alors que l’artiste et sa famille se sont réfugiés au Venezuela pour échapper à l’horreur de la guerre. En étreignant ces parties de corps en carton, l’artiste se met à la place des personnes ayant perdu un proche sur le champ de bataille. L’escargot, une structure réalisée initialement pour un spectacle créé avec son ex-compagnon pianiste, devient ici un refuge. L’artiste s’intéresse beaucoup à l’hermaphrodisme de ce mollusque, car il est synonyme de changement. Au fil de ces dernières années, l’artiste a été spectatrice de la métamorphose de cette région due à la sécheresse.

Donaulls Donaulls, 2019, Mariaelena Roqué

Perama

Rencontré récemment à la galerie Analix Forever, Marios Fournaris est l’un des membres actifs du projet initié par Barbara Polla : Sharing Perama. Ce projet culturel et humaniste vise à inclure des œuvres d’art et des activités artistiques dans l’espace public de Perama, une banlieue d’Athènes qui a été culturellement négligée pendant des décennies. Originaire de cette ville portuaire, Marios Fournaris montre la face cachée de la Grèce, à mille lieues des spots touristiques. Ici, les infrastructures métalliques du port ont remplacé les plages paradisiaques.

A l’occasion de son solo show ce printemps dernier à la galerie, Marios Fournaris et Barbara Polla ont sorti le livre PERAMA Je me souviens, où l’on peut découvrir l’ensemble des clichés de l’artiste sur ce quartier d’Athènes. Dans Symphony of the clouds (2021), on se retrouve face à une vue d’une beauté singulière, puissante, bien que ces grues semblent menaçantes. Dans le cliché The most cult house in Perama (2021), l’artiste nous plonge dans une atmosphère surréaliste où une maison vétuste dont la fonction reste indéfinissable semble être abandonnée. C’est cette ambiguïté qui la rend mystérieuse, une trouvaille que l’on peut découvrir seulement en s’aventurant hors des sentiers battus. Devant le bâtiment, une sorte d’hôtel religieux accentue ce sentiment d’étrangeté. C’est à travers les ruines et les lieux les plus simples que l’on peut s’imprégner de l’âme d’un pays.

 

The most cult house in Perama, 2021, Marios Fournaris

Marseille

Souvent, l’attachement à une terre se manifeste à travers la culture populaire, portée par les gens qui peuplent une région. Pour Sol Cattino, c’est l’outrance et les couleurs qui définissent le paysage pictural de Marseille. Après s’être présenté aux beaux-Arts de Paris et d’y avoir été qualifiée de « trop marseillaise », l’artiste a finalement étudié à l’école des Beaux-Arts de Marseille. Dans ses peintures, la figure de la cagole domine. Souvent moquée, cette vision de la féminité issue des classes populaires est considérée aujourd’hui comme une manière de libérer le corps de la femme. Chez Sol Cattino, dont toute la famille est originaire de la région, c’est la couleur et cette expression de liberté qui l’a intéressée. Chez ces femmes, rien n’est jamais trop. Elles incarnent une forme d’audace souvent écrasée par le « bon goût » célébré par les magazines de mode. En se concentrant sur la féminité exacerbée, l’artiste a choisi de représenter des femmes authentiques.

JUST ILIKE BY SOL, 2019, Sol Cattino

Sabra

Abdul Rahman Katanani fait partie incontestablement des plus grands artistes contemporains libanais avec, de surcroît, une œuvre profondément humaniste et engagée. D’origine palestinienne, l’artiste est né à Sabra en 1983, juste un an après le massacre de Sabra et Chatila. Ce camp de réfugiés palestiniens situé au sud de Beyrouth, il ne l’a jamais totalement quitté, puisqu’il y a vécu et travaillé jusqu’en 2022. Le fait de s’être trouvé dans un lieu où la vie est difficile a nourri son intérêt à analyser le monde qui l’entoure et à s’informer, le poussant notamment à organiser une bibliothèque au sein du camp. Katanani utilise son environnement comme moteur de création. La majorité de ses œuvres sont réalisées avec des matériaux présents dans le camp, tels que le barbelé, le bois et la tôle ondulée.

Parmi les dernières œuvres de l’artiste qui résonnent avec l’actualité : une série de sculptures murales, représentant des pigeons prenant leur envol. Dans le camp de Sabra, les prisonniers s’échangeaient des messages à l’aide de ces oiseaux, leur permettant d’échapper au contrôle de leurs geôliers. L’échange et les écrits restent sans doute le moyen le plus fiable pour faire perdurer une culture. C’est aussi un moyen de se rebeller. Détourner des objets liés à la violence pour en faire des œuvres symbolisant la paix et la liberté est une pratique courante chez Abdul Rahman Katanani. On retrouve notamment ce détournement artistique dans ses oliviers en barbelés, symboles de paix en Palestine.

Installation de cinq Pigeon, 2020, Abdul Rahman Katanani

Gizeh

Dans son travail, l’artiste égyptienne basée à Los Angeles Sherin Guirguis raconte des histoires marginalisées, en particulier celles des femmes, souvent effacées ou oubliées. Se basant sur ses recherches autour de l’architecture, la littérature et la transmission orale pour créer des sculptures et des peintures, l’artiste remémore également les récits perdus avec ses installations In Situ. Invitée à Forever is Now, une exposition soutenue par l’UNESCO en 2021, l’artiste a créé une sculpture monumentale installée face aux pyramides de Gizeh. Here I Have Returned représente un sistre, un instrument de percussion utilisé dans l’Égypte antique par les prêtresses d’Hathor, probablement lors du culte de Bat. Gravé de motifs d’inspiration pharaonique et d’extraits d’un poème de la féministe égyptienne Doria Shafik. Les éléments de tissu indigo sont imprégnés d’huile de jasmin provenant des fermes égyptiennes locales, honorant le travail des femmes qui récoltent ces fleurs au parfum délicat à l’aube. Avec cette sculpture, l’artiste matérialise un rite oublié en invitant les visiteurs à activer les cymbales de l’instrument créant un appel du présent à un passé oublié.

Mariaelena Roqué. Silenci despullat. UnaDonaUna. Jusqu’au 22 juin au Musée d’art moderne de Tarragone

PERAMA Je me souviens, en vente à la librairie Forever Livres: Rue du Gothard 10 – 1225 Chêne-Bourg
https://foreverlivres.wordpress.com/

Et à la FNAC: https://www.fr.fnac.ch

Here I Have Returned, 2021, Sherin Guirguis. Courtesy of Sherin Guirguis Studio. Photo by: Hesham Saifi
Donaulls Donaulls, 2019, Mariaelena Roqué
Symphony of the clouds, 2021, Marios Fournaris
Antipapas, Mariaelena Roqué
Here I Have Returned, 2021, Sherin Guirguis. Courtesy of Sherin Guirguis Studio. Photo by: Hesham Saifi
ETRE UNE VRAIE FEMME, 2019, Sol Cattino

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