Vanités poétiques
Lors de sa dernière exposition personnelle à la galerie GOWEN, Claude Cortinovis présente ses dernières œuvres à l’univers lyrique. Dans des jardins aquatiques, l’artiste se penche sur la vacuité de notre existence. Dans un travail introspectif et méditatif, il aborde des questions universelles extrêmement présentes dans notre société où tout semble se dérober sous nos pieds.
Vanités aquatiques
Claude Cortinovis continue son exploration des thèmes du temps et de la mort avec de nouvelles œuvres résolument poétiques. Débutée en 2024 avec Landscape CM #1, un dessin monumental réalisé avec des tampons, la nouvelle série d’œuvre Avant la nuit rend hommage aux Nymphéas de Claude Monet. Sur des étangs générés par l’intelligence artificielle, court une phrase en continu : « Avant la nuit, j’allume une lanterne et espère trouver ce que je cherche. ». Ces quelques mots sont inspirés par un poème de la Chine républicaine extrait du roman de science-fiction Le Problème à trois corps de Liu Cixin. Comme dans J’étais ce que tu es et ce que je suis tu seras (2020) ou encore J’étais ici et je ne pouvais rien voir ! (1999) l’artiste intègre une narration personnelle à des composantes issues de l’histoire de l’art ou de la littérature.
Le choix de générer un paysage rappelant les jardins de Giverny vient d’une volonté d’aller vers la couleur. En effet, Claude Cortinovis travaille essentiellement en noir et blanc ou avec une palette réduite. Ainsi, l’artiste continue ses clins d’œil à l’histoire de l’art, tout en créant des corrélations avec nos temps modernes. L’hommage à Claude Monet s’est imposé, car c’est l’un des premiers peintres à avoir travaillé en série, une pratique se rapprochant de la photographie. Pour Avant la nuit, Claude Cortinovis a choisi d’utiliser pour la première fois l’intelligence artificielle, car il était difficile de se rendre à Giverny et qu’il aurait fallu y séjourner longtemps pour pouvoir photographier toutes les éclosions des nénuphars. Pour toutes ces raisons, l’artiste a écrit des prompts afin d’obtenir exactement l’image qu’il voulait. Ce procédé n’est pas contradictoire à la pratique de l’artiste, car depuis toujours, Claude Cortinovis s’appuie sur une phrase pour construire ses œuvres. C’est le texte qui génère l’image.
Avant la nuit #2, 25.11.2024,
Les jardins de Giverny sont également liés à la thématique de la mort, car Claude Monet a acquis ce lieu mythique en 1883, quelques années après le décès de sa première femme Camille. Sa deuxième femme Alice a succombé à une leucémie myéloïde en 1911 et est enterrée au cimetière de Giverny. Claude Monet y décèdera lui-même en 1926. Après le décès d’Alice, et souffrant d’une cataracte, ce fut une véritable résilience pour le peintre de continuer son travail, une question également très présente dans l’œuvre de Claude Cortinovis.
Châtiment sympathique
Dans le cadre de l’exposition A book about Death en 2009 à la Emily Harvey Foundation Gallery Claude Cortinovis a créé une carte postale avec des dessins issus de sa série Tags datant de 1998. Initiée par Matthew Rose, un membre de Fluxus, cette exposition iconique s’est basée sur le concept du Mail Art, fondé notamment par Ray Johnson, où chaque artiste devait créer une carte postale sur le thème de la mort. Chaque carte était tirée à 500 exemplaires. Comme les dessins de sa série Tags étaient imprimés sur des Stickers que l’on pouvait disséminer à travers la ville, cela faisait écho au Mail Art, qui a pour but initial de diffuser de l’art sans but commercial. C’est sans doute Tags qui a inspiré à l’artiste La Pénitence No 2 (2014), un dessin à l’encre de grand format. Dans le même principe que les Carnets de punition (1992), réalisés à la sortie des Beaux-Arts, l’artiste fait pénitence artistiquement en dessinant 4’254 fois la même silhouette de squelette. Ce nombre de personnages correspond au nombre de jours qu’avait duré son châtiment. Les dessins de Claude Cortinovis révèlent les blessures invisibles qui ponctuent notre existence. Qu’elles soient éphémères, à l’image de l’encre sympathique, ou pérennes, elles tracent des sillons indélébiles qui marquent à jamais notre âme.
La pénitence No 2, 2014
Ligne de conduite
Bien que formellement proches des œuvres concrètes, les abstractions de Claude Cortinovis questionnent sur la place de l’humain dans l’univers et la durée de son existence. L’artiste basé à Genève s’astreint à une ligne de conduite rigoureuse, puisqu’il sait exactement lorsqu’il aura terminé sa création. Chaque jour, il consacre une partie bien précise de son temps pour réaliser ce dessin, peu importe les circonstances. On peut voir une sorte de résilience dans cet acte performatif minimal. Il y a d’ailleurs une certaine humilité dans le choix du matériel : juste une feuille de papier et un stylo. Dans ce geste répétitif mais constant, l’artiste reflète également la pression qu’exerce notre société sur les individus, leur exigeant une constance dans leur humeur, leur performance et leur force de travail.
Les œuvres de Claude Cortinovis nécessitent une certaine maîtrise du geste. Ce dernier trace une ligne continue sur un papier millimétré à la main avec une rigueur scientifique. Dans Au plus près de ma ligne blanche, réalisé le 18 septembre 2022, l’artiste trace méticuleusement une ligne faisant des va-et-vient qui couvre toute la surface du papier. D’un geste constant, il noircit le papier, créant ainsi une performance nous interrogeant sur la confrontation entre l’action et l’inaction, mais aussi sur l’existence et l’inexistence. Est-ce que, tout comme le bec de la plume laissant une empreinte par les sillons qu’il creuse dans le papier, l’être laissera une trace immuable ?
Linear Echo, jusqu’au 17 juillet
Gowen, Rue Jean Calvin 4, 1204 Genève