Sirènes des temps modernes

par 4 juillet 2025À la une, Art contemporain, Queer We Cheer!

Depuis des siècles, la sirène peuple les toiles des grands-maîtres. Qu’elle soit nordique ou gréco-romaine, cette créature mi-femme, mi-animal a toujours été considérée comme dangereuse et cruelle. De nos jours, les artistes se sont réapproprié ce mythe pour en faire une figure émancipatrice. De la nymphe séductrice de John William Waterhouse à l’un des personnages préférés des Drag Queens, le chemin fut long. Voici les nouvelles représentations de la sirène au 21ème siècle.

Garçon sirène

En 2018, l’artiste Oh Mu chantait Garçon Sirène, une ode à la liberté et à la fluidité des genres. Depuis des siècles, la sirène fascine. Surnommée la sirène d’Hollywood, l’actrice Esther Williams a popularisé la natation synchronisée en interprétant le rôle de nymphe aquatique évoluant dans des décors aussi kitsch que spectaculaires. Cette créature, associée initialement au glamour, est devenue ces dernières années un symbole LGBTQIA+.

Dans un autre registre, Brandon Gercara, mêle mythologie et histoire dans un récit qui lui est propre avec Majik Kwir . L’artiste réunionnais a photographié une grande majorité de la communauté queer vêtue en créatures mystiques, comptant dans ses portraits un grand nombre d’hommes prenant l’apparence d’une sirène ou d’une nymphe aquatique.

Nouvelles représentations

Depuis quelques années, Afromermaid, une communauté de sirènes inclusive, s’est formée à Miami. Chez eux, tous les physiques sont valorisés, peu importe leur genre et leur âge. Il faut dire qu’il est assez récent de voir des représentations de la sirène qui s’éloignent des beautés au teint diaphane de John William Waterhouse. Il y a deux ans, Disney a choisi une actrice noire pour incarner Ariel, ce qui a fait scandale, chose complètement absurde. Le mouvement des «Black Mermaid» nous rappelle à quel point l’inclusion est importante dans les représentations aux États-Unis. La fondatrice de cette association explique que la communauté afro-américaine porte en elle les traumatismes de leur déportation, mais également ceux de la ségrégation raciale, car jusqu’en 1964, l’accès aux plages et aux piscines demeurait interdit aux noirs. En incarnant des sirènes, les Afro-Américains rappellent que cette figure fait aussi intégralement partie de leur culture, car leurs ancêtres esclaves vénéraient Mami Wata, une divinité africaine ayant pour trait une femme munie d’une queue de poisson.

Ursula et Divine

Filets fétichistes

Chez Yannick Lambelet, la sirène est une figure récurrente. D’ailleurs, une de ses expositions a eu pour titre Le Chant des Sirènes en 2019. Ce n’est donc pas surprenant qu’Ariel, la petite sirène de Disney, se soit glissée plusieurs fois dans la série de peintures Cinnamon Sky. En parlant de Disney, les dessinateurs du film d’animation sorti en 1989 s’étaient inspiré de la Drag Queen Divine pour le personnage d’Ursula. Malheureusement, la culture cinématographique populaire a souvent attribué des caractéristiques queer aux personnes jouant le rôle du méchant.

Aujourd’hui, la sirène est l’une des incarnations les plus prisées des Drag Queen. Par sa morphologie mi-femme, mi-poisson, elle incarne à la fois la dualité masculin-féminin, mais aussi la métamorphose. Dans Fin de journée (2019), l’artiste a représenté la Drag Queen Aquaria dans son costume de sirène, pratiquant le shibari. Ce shooting a servi à promouvoir son look lors de l’émission RuPaul’s Drag Race en 2018. La queue de la tenue était enduite de goudron, ce qui apportait une réflexion sur la pollution des océans, en plus d’être spectaculaire. Cette mise en scène a inspiré Yannick Lambelet pour la création de Fin de journée. Cette toile l’a accompagnée tout au long d’un road trip débutant à Rome pour se terminer au Portugal. C’est d’ailleurs cette œuvre qui a illustré le flyer de l’exposition Le Chant des Sirènes à la galerie Da Mihi. Le lien entre le shibari et la mythologie n’est pas anodin. L’illustration de cet art érotique crée une corrélation avec un passage de l’odyssée d’Ulysse où ce dernier devait s’attacher au mât de son bateau afin de ne pas devenir fou en entendant le chant des sirènes. Bien entendu, l’artiste explore l’érotisme queer dans cette œuvre où la sirène reste objet de désir et perd sa connotation menaçante.

Fin de journée, 2019, Yannick Lambelet

Figure post-humaine

Parfois sirène, parfois serpent, l’artiste lituanienne Emilija Škarnulytė évolue dans des eaux profondes pour ses performances. En plongée libre, elle s’efforce de retourner à nos origines aquatiques, lors des prémices de la vie terrestre. Dans un monde où l’humain croit dominer le monde, la performeuse-réalisatrice a voulu se focaliser sur des perspectives non-humaines. A travers ses personnages hybrides, l’artiste s’est mise dans la peau d’une archéologue du futur post-humaine venue observer les cicatrices laissées par l’homme sur la terre. Certaines de ses œuvres emblématiques se déroulent d’ailleurs dans une centrale nucléaire lituanienne, mais aussi dans une base sous-marine abandonnée de l’OTAN en Norvège. Dans Sirenomelia (2018), dont le titre fait référence à la sirénomélie, une maladie fœtale rare de dysgénésie caudale caractérisée par la fusion des membres inférieurs, l’artiste navigue dans les eaux glaciales d’Olavsvern. On retrouve une atmosphère inquiétante, similaire à celle du film Burial, où l’artiste s’interroge sur l’impact de l’humain sur l’environnement et sa capacité à détruire la planète par cupidité.

Sirenomelia, 2018, Emilija Škarnulytė

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Née à Sofia en Bulgarie, Oda Jaune a su se hisser au sommet du marché de l’art contemporain avec un travail personnel compliqué à saisir, un acte courageux en somme.