Un objet, une œuvre: Joana Vasconcelos & le casque sèche-cheveux
Les murs de la galerie Gowen contemporary renferment une œuvre chargée d’histoire. Non, il ne s’agit pas d’une passementerie géante aux couleurs acidulées, mais bien d’un sèche-cheveux rétro réinterprété par Joana Vasconcelos. Cet objet culte, oublié sous nos latitudes, n’en est pas moins un symbole lié à la beauté noire en Afrique du Sud. Décryptage.
Avec Ubuntu, l’artiste lisboète rend hommage aux femmes sud-africaines. En sublimant le casque sèche-cheveux, qui évoque les salons de coiffure, elle met en lumière l’importance de la coiffure chez les femmes de couleur, qui est devenue de nos jours un acte de résistance et de revendications. En effet, depuis des décennies, les femmes aux cheveux crépus sont contraintes de se défriser les cheveux aux moyens de produits chimiques agressifs. Arborer des tresses ou autres coupes traditionnelles n’est plus une question purement esthétique mais permet d’affirmer avec fierté son appartenance à un groupe ethnique, tout en mettant en avant le fait de se sentir bien en restant naturel. Bien que l’apartheid ait pris fin en 1994, les femmes noires sont toujours victimes de discriminations et de préjugés qui s’en prennent souvent à la nature de leurs cheveux. C’est le cas par exemple en 2016 au lycée Pretoria High School for Girls, où les filles aux cheveux crépus subissaient des discriminations de la part de professeurs, jugeant leur coupe « peu soignées » et les contraignant à devoir se les lisser. Cette situation les a poussées à créer une pétition en ligne qui a récolté 28’000 signatures et donné naissance au hashtag #StopRacismAtPretoriaGirlsHigh.
Joana Vasconcelos est particulièrement intéressée par la place de la femme dans la société, dont elle met en évidence l’artisanat. L’artiste a su au fil des années mettre en lumière des savoir-faire artisanaux portugais, pratiqués majoritairement par les femmes. Elle aime d’ailleurs nommer ces œuvres avec des noms évoquant des sujets sociétaux. Ici, le mot Ubuntu signifie humanité et fraternité dans les langues bantoues. Il a d’ailleurs été utilisé par Nelson Mandela et Desmond Tutu pour désigner un idéal de société opposé à la ségrégation, afin de promouvoir une réconciliation nationale. Cette oeuvre est porteuse d’espoir avec ses couleurs fraîches et très féminines. Les motifs rappellent l’art Ndebele qui se caractérise par l’utilisation perpétuelle du noir et blanc, rehaussé par des couleurs vives.
Comme toujours, Joana Vasconcelos a su rendre ces lettres de noblesse à l’artisanat féminin tout en lui apportant une touche de modernité.
Ubuntu, 2022
Elève de la Pretoria High School for Girls