Artistes oublié(e)s: Judith Leyster

par 17 septembre 2024Art contemporain, Artistes oublié(e)s, Histoire de l'art

S’il y a bien une artiste que l’on a voulu effacer de l’histoire de l’art, il s’agit de Judith Leyster. Toute l’œuvre est attribuée à Frans Hals ou à son mari, Jan Miense Molenaer. En 1893, elle est redécouverte et les chercheurs commencent à attribuer correctement ses œuvres. Zoom sur une peintre talentueuse méconnue.

Née le 1er juin 1609 à Haarlem, Judith Leyster est la huitième enfant d’un fabricant de tissus qui devient brasseur par la suite. Elle peint ses premières toiles, Serenade et The Jolly Topper (1629) à l’âge de 20 ans. En 1633, elle est l’une des premières femmes peintres admises à la guilde de Saint-Luc d’Haarlem.

Joyeuses compagnies

L’artiste se spécialise dans les scènes de genre joyeuses et les portraits. On retrouve souvent des figures de personnes à table buvant ou jouant de la musique. On peut imaginer qu’elle a pu observer les gens se divertir dans la taverne de son père. D’ailleurs, le mouvement nommé “Joyeuses compagnies” était un sujet de prédilection dans la scène de genre flamande et hollandaise. Caractérisées par un éclairage à la bougie et des corps qui se dégagent d’un fond uni, les oeuvres de Leyster l’inscrivent parmi les Caravagistes d’Utrecht. Des spéculations affirment que l’artiste serait devenue peintre pour éponger les dettes de son père qui fit faillite alors qu’elle avait 15 ans. On pense que c’est à cette période, lorsque sa famille a dû déménager dans la province d’Utrecht, qu’elle a rencontré des peintres qui, partis en Italie pour parfaire leur art, se sont inspirés du Caravage, créant ainsi l’École caravagesque d’Utrecht entre 1620 et 1630.

La Joyeuse Compagnie, 1630

Point de vue novateur

Dans ses scènes domestiques, Judith Leyster apporte une touche novatrice. C’est notamment le cas dans La proposition (1631), où elle inclut une variante inhabituelle à une scène où l’on aperçoit un homme sollicitant une prostituée. Ici, il s’agit d’une jeune fille prude en train de coudre et les avances sont non désirées. On devine l’indécence de la proposition à travers l’action de coudre (une métaphore en néerlandais pour parler de sexe). Sur les scènes plus classiques de cette catégorie, notamment peintes par Vermeer, la femme arborait un grand décolleté et l’homme posait des pièces sur la table, ce qui ne laissait aucun doute sur la nature de leur relation. Judith Leyster a su renverser les codes et s’approprier des sujets courants dans les scènes de genre en posant un regard féminin sur des situations que vivent malheureusement encore les femmes de nos jours.

Avec ses portraits de femmes à la maison, Judith Leyster fut précurseur, car ce sujet deviendra populaire en Hollande seulement en 1650. Sa manière de retranscrire les expressions de ses modèles est unique en son genre. Dans son Autoportrait (1633), proposé pour entrer à la gilde de Saint-Luc, l’artiste se peint de manière vivante et spontanée. Elle se représente peignant un musicien, son sujet de prédilection, dans sa plus belle robe qui n’est certainement pas sa tenue de peinture, tant elle est délicate et soignée.

La Proposition, 1629

Judith Leyster et Frans Hals

Bien que peu de sources peuvent nous éclairer aujourd’hui sur les relations professionnelles et amicales de Judith Leyster et Franz Hals, plusieurs faits ayant laissé des traces écrites les relient. Deux ans après son admission à la guilde de Saint-Luc, Judith Leyster a eu trois apprentis qui la rénuméraient pour recevoir son enseignement. Les archives montrent que Leyster a poursuivi Hals pour avoir accepté un étudiant qui avait quitté son atelier pour le sien sans d’abord obtenir la permission de la guilde.

Le scandale

Lors d’une restauration, en 1893, le Louvres retrouve le monogramme de Judith Leyster sous la signature de Franz Hals sur la La Joyeuse Compagnie (1630)alors considérée comme la plus belle toile de ce dernier. En effet, les Initiales J et L accompagnées d’une étoile refont surface. Judith Leyster avait pour habitude de signer ainsi. Leijster signifie d’ailleurs « étoile principale » en hollandais, ce qui confère une dimension poétique à ce sigle. Toutes les toiles précédant le mariage de l’artiste ont été signées ainsi. Mais alors, comment se fait-il qu’une toile de cette importance n’ait pas été attribuée au bon auteur? 

C’est en 1758 que Sir Luke Schaub, un diplomate suisse acquiert La Joyeuse Compagnie, alors allouée à Franz Hals. Par la suite, le tableau fut revendu plusieurs fois avant d’être acquis en 1892 par Asher Wertheimer, alors marchand d’art à Bond Street. Sir John Millars confirme l’authenticité de l’œuvre. Wertheimer la revend alors 4 500 £ à une société qui la revendra au Baron Schlichting à Paris, toujours sous la signature de Halz. Après la découverte de la supercherie, le baron Schlichting intente en justice la société vendeuse, laquelle se retourne contre Wertheimer. La vente sera annulée le 31 mai 1893 sans pour autant que soit pris en compte la valeur de la toile.

Autoportrait, 1633
La dernière goutte (Gay Chevalier), 1639

Le facteur sonne toujours deux fois

Mais la mauvaise attribution des toiles de Judith Leyster ne s’arrête pas là. En 1636, elle épouse Jan Miense Molenaer, un artiste travaillant sur des sujets similaires dont la production, plus prolifique, est mieux côtée. Par la suite, le couple s’installe à Amsterdam où Molenaer a déjà des collectionneurs. Ils y restent onze ans avant de retourner à Heemstede dans la région de Haarlem. Leyster et Molenaer ont eu cinq enfants, dont seulement deux sont parvenus à l’âge adulte. Cette vie de famille a bouleversé la production artistique de Leyster. De plus, depuis cette période, elle signe ses œuvres sous le nom de J. Molenaer, ce qui porte à confusion, car ce sont les mêmes initiales que son mari. De ce fait, toute la production de l’artiste est attribuée à Jan Miense Molenaer depuis cette période. Aucune de ses œuvres n’a été exposée publiquement ou attribuée à elle pendant près de 200 ans.

Dates Clefs

1609: Naissance à Haarlem
1633: Elle est l’une des premières femmes admises à la guilde de Saint-Luc d’Haarlem
1636: Mariage avec Jan Miense Molenaer
10 février 1660: Décès à l’âge de 50 ans.

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