La puissance du féminin
En collaboration avec la galerie Art Now, la salle d’exposition Cheminée Nord de la Fonderie Kugler accueille l’artiste polonaise Katarzyna Swinarska. Dans une atmosphère à la fois girly et pesante, des coulées de peintures acidulées rythment des portraits féminins, à l’image du mascara inondant les joues des femmes forcées à fuir leur patrie. A travers ces portraits tourmentés, l’artiste a su retranscrire le cri de dégout que suscite la guerre.
Touchée par des sujets humanistes, l’artiste met en lumière le courage des femmes migrantes. Comme les conflits armés ne cessent de se multiplier, ce sujet s’est imposé comme une évidence. L’exposition Fleeing the War – in progress… regroupe principalement des portraits, dont une grande partie sont issues de sa nouvelle série Fleeing the War, débutée en 2022, et de Howling Sirens, mettant en scène la figure de la Nymphe. Katarzyna Swinarska a toujours représenté la femme de manière triomphante. Dans son œuvre, cette dernière est forte et refuse le statut de victime. Le fait de s’apprêter comme si tout allait bien redonne de la dignité à ces personnes qui ont tout perdu. Saisissant leurs valises avec leurs ongles vernis, elles portent de la couleur, lorsque tout est gris et sans espoir. Comme l’indique le nom de la série, il s’agit avant tout de ressenti. En effet, c’est dans les heures les plus sombres de notre existence que l’on a le plus besoin d’art et de musique. D’ailleurs, une bloggeuse restée en Ukraine expliquait récemment dans Track East sur Arte comment elle reproduisait avec ironie les looks des tapis rouges avec des objets du quotidien. Cela lui permettait de s’évader. Le fait de s’apprêter devient une action de résistance et permet également de garder son identité.
La femme (sur)vivante
On ne compte plus les portraits de femmes mortes dans l’histoire de l’art. Depuis des siècles, le corps féminin occupe un rôle assujetti et passif dans la peinture. Les artistes de l’époque qui, sous leurs pinceaux, esthétisaient l’image de la femme morte, ont épuisé le sujet. De nos jours, on retrouve tout particulièrement cette figure dans les romans et les films noirs. Chez Katarzyna Swinarska, Exit le « Male gaze » ! Dans sa réinterprétation Ophelia after Millais (2022), Ophélie se porte bien. Elle est vivante, sa peau rose, sublimée par sa nudité, semble défier le regard du spectateur par sa puissance. Elle semble d’ailleurs flotter hors de l’eau, la position de ses bras rappelle davantage la figure de l’Orante, qu’une femme se noyant.
Ophelia after Millais (2022)
Les larmes du dégoût
Dans la toile Watching the War, une femme, accompagnée d’une biche, vomit. L’artiste considère que les femmes sont dégoûtées de la guerre. Elle le symbolise dans ses tableaux avec de fortes réactions physiques. Souvent, l’expression de ses sentiments est considérée comme impudique, voire révélateur d’une faiblesse. Il est sans doute inutile de rappeler que les femmes, mises à nue, au sens propre comme au figuré, sont bien plus exposées et meurtries dans leur chair que les hommes. L’expression des ressentis les plus tragiques demande bien du courage. Ici, les armes deviennent un outil de protestation pacifique.
Universalité féminine
L’œuvre de Katarzyna Swinarska allie avec brio justesse académique et expression stylistique. Ce savoir-faire rend le propos de ses toiles encore plus poignant. Toutes les femmes peuvent s’identifier à ses portraits, qu’elles aient vécu la guerre ou non, car malheureusement, la souffrance féminine est universelle. Dans le triptyque Ukrainian Tryptich, l’artiste représente six protagonistes. Sur le premier volet, deux soldates ukrainiennes en tenue de combat, sur celui du centre, une femme en civil et sur le dernier deux figures fantomatiques au-dessus d’une autre femme dont le dessin du vêtement, à contrario des autres personnages, ne se prolonge pas dans le volet du centre, insinuant peut-être de la sorte une rupture. S’agit-il de l’illustration de la sorrorité en temps de guerre ou bien d’une seule et même femme aux multiples facettes? On peut y voir la multiplicité d’interprétations, mais une chose est sûre, cette toile consiste en un témoignage profond d’une sombre époque.