Marisa Merz, poétiser l’espace
Dans un accrochage épuré, les œuvres poétiques de Marisa Merz se déploient au Kunstmuseum de Berne. Considérée comme l’unique figure féminine de l’arte povera, l’artiste italienne a su sublimer les matériaux les moins nobles dans des installations empreintes de délicatesse.
Cette rétrospective retrace admirablement le parcours de l’artiste. Née à Turin en 1926 d’un père ouvrier chez Fiat, Marisa Merz grandit dans un milieu industriel. Très jeune, elle baigne dans la scène artistique de la ville puis effectue des études d’architecture. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, l’artiste Mario Metz, qu’elle épousera en 1960. Après avoir terminé sa formation, l’artiste s’est consacrée entièrement à l’art plastique. Son couple, entouré de nombreux artistes de l’arte povera, demeure le socle de ses activités artistiques.
Art vivant
Au premier étage du musée, nous sommes accueillis par une Living Sculpture dont les feuilles d’aluminium torsadées évoquent des tuyaux de conduits. L’artiste s’inspire toujours de son environnement et ici, les feuilles d’aluminium rappellent celles utilisées en cuisine. Présenté pour la première fois dans sa maison de Turin, cette série de sculptures montre que l’artiste a su tisser un lien particulier entre l’art et la représentation du travail domestique. L’espace privé devient espace d’exposition. C’est l’arte povera, dont le principe est d’utiliser des matériaux dits « pauvres » pour créer un art en rupture avec les valeurs de la société bourgeoise. L’œuvre devient la valeur première, indépendamment de sa matière. C’est sa conception et sa diffusion qui prime. De ce fait, il est tout à fait naturel d’utiliser des objets du quotidien et donc, pour Marisa Merz, d’exposer également en dehors des circuits traditionnels de l’art. Cette série de sculptures aux allures futuristes s’est notamment retrouvée dans le film fantastique Il Mostro Verde (1967) de Tonino De Bernardi et Paolo Menzio.
La poésie mathématique
L’œuvre de l’artiste reste étroitement liée à sa vie. Elle incorpore donc des éléments rappelant le travail domestique des femmes, comme des tiges de métal évoquant des aiguilles à tricoter, soutenant ses structures de fils de cuivre et de nylon. Mais l’artiste ne se contente pas de se pencher sur des sujets dits « féminins », elle explore dans son art une multitude de notions tout aussi bien philosophiques, personnelles et même arithmétiques.
Dans une première salle, un réseau de carrés tissés en fils de cuivre tendus par des clous crée une structure géométrique sur un mur. Disposés de manière croissante, ils évoquent le système mathématique de la suite de Fibonacci. Leonardo Fibonacci décrit dans l’ouvrage Liber Abacci publié en 1202, la croissance exponentielle d’un groupe de lapins. Il suffit d’additionner les deux derniers chiffres de la suite pour obtenir le suivant, ainsi, il repose dans la nature de nombreux végétaux, animaux et minéraux dont la structure s’appuie sur cette suite mathématique.
Filigrane sculptural
Également composées d’une structure filaire, cette fois-ci en nylon ou en cuivre, les Scarpete (petites chaussures), chaussons à l’effigie de sa fille Bea, sont abandonnées sur une plage de la côte Amalfi en 1968 lorsqu’elle participe avec Mario et d’autres artistes à l’action Arte povera + Azioni povere (« art pauvre + actions pauvres »). Il réside dans cette action le principe même de ce mouvement artistique, où la matérialité, la pérennité et l’existence jouent un rôle second dans le concept d’une œuvre. Ainsi, les sculptures réalisées en matériaux plus fragiles créent une corrélation avec notre enveloppe charnelle, elle aussi vouée à disparaître.
Madonna di Marte
Terra cruda, Madonna d’Oro
Autre rupture avec les techniques traditionnelles associées aux Beaux-Arts: Marisa Merz ne cuit jamais ses créations en céramique. En 1982, avec les Testine (petite tête en italien), elle crée des portraits en argile crue à laquelle elle mêle plâtre, bois, cire et feuilles d’or. Parfois, les têtes sont reliées par des filets de cuivre tricotés main, un élément récurent dans l’œuvre de l’artiste. Avec l’argile, un médium intimement lié au geste, l’artiste a choisi de ne pas dépasser une échelle dépassant la taille de ses propres mains. Avec ses sculptures intimistes stylisées, l’artiste capte l’essence même du portrait. Elle s’éloigne ainsi de la statuaire classique, où l’anatomie est représentée de manière fidèle.
On retrouve l’usage de la feuille d’or dans ses dessins au plomb représentant des Madone libres. Inspirée par l’art byzantin du côté de la forme, ces Madones perdent leur sacralité pour gagner en liberté. Comme pour les Testine, leur aura vient d’elles-mêmes et non de ce que l’on projette sur elles.
Marisa Merz
Ascoltare lo spazio / Écouter l’espace
Jusqu’au 6 juin au Kunstmuseum de Berne