Spectre optimiste

par 26 septembre 2024Art contemporain, Décryptage expositions

Pour cette 8ème biennale intitulée Bisssextile, le spectre visible, les artistes de la Fonderie Kugler de Genève ont proposé un accrochage aux couleurs chatoyantes. Une véritable bouffée d’oxygène en ces temps anxiogènes.

Lorsque l’on pénètre dans la grande salle de la fonderie Kugler, une sculpture attire notre regard. Cette fleur géante composée uniquement de bouteilles en PET semble flotter dans l’espace. Elle évoque la mer de plastique formant le sixième continent, un vortex de déchets au cœur de l’océan Pacifique. L’artiste genevois Ibrahim Findik milite pour la protection de l’environnement en créant des compositions végétales surprenantes, réalisées la plupart du temps avec des matériaux recyclés.

Qui dit spectre, dit soleil ! Mais malheureusement, sa lumière accélère la fonte des glaces… Ce sujet, on ne peut plus d’actualité, préoccupe depuis de nombreuse années Nina Schipoff . Artiste engagée, elle se définit comme une femme paysage. Ses nombreuses résidences en Islande, au Spitzberg et dans les régions arctiques lui ont permis d’appréhender de manière concrète le lien que l’homme entretient avec la nature. Est-ce que le paysage de Lueur spectrale à l’Iceberg irradiant existe vraiment en dehors de notre regard ? Loin des yeux, loin du cœur. Existera-t-il dans 20 ans ? Une chose est certaine : il est primordial de ne pas détourner le regard.

Spectrum Bloom, 2024, Ibrahim Findik, Elévation bitextille, 2023, Sylvie Wozniak

« Après moi, le déluge ! » Heureusement, les artistes ne suivent pas cet adage. Les catastrophes naturelles se retrouvent de manière omniprésente dans les dessins de Christine Boillat. Ici, l’artiste nous entraîne dans son univers peuplé de créatures aux airs de palafittes humains, perchés sur des échasses afin de fuir la montée des eaux qui les menace inéluctablement. Dans cette ambiance post-apocalyptique empreinte de poésie, on devine les ruines d’une civilisation par quelques vestiges subsistant dans un paysage de désolation. 

Au bord d’une piscine, Mael Denegri interprète le spectre avec une sublime disparition sur fond de coucher de soleil. Dans une composition propre à sa série Déjeuner sur l’herbe, le personnage, dont on ne distingue que les jambes, semble s’évaporer dans une brume formant une sorte d’aurore boréale acidulée. On décèlerait presque une annonce funeste à travers les couleurs automnales du paysage et l’heure tardive de la journée.

Safe Place 2, Mael Denegri

Chez Philippe Fretz, des éléments reviennent de manière cyclique dans son œuvre. Cette narration permet de suivre une logique dans sa peinture. Inspiré par la Divine comédie de Dante, un ouvrage sur lequel il a travaillé durant sept ans, l’artiste représente récurremment une structure architecturale à trois étages représentant les trois royaumes, chacun prenant une couleur primaire. Si l’on se réfère à la synthèse additive, ces trois couleurs réunies deviennent le blanc, symbolisant pour l’artiste la montée au ciel. Dans Young Moon (2017), c’est un arbre imaginaire composé de plusieurs étages aux couleurs de l’arc-en-ciel qui symbolise l’élévation. Face à l’arbre se trouvent deux femmes, dont l’une tient une fente de Young, un instrument qui a permis de démontrer la double nature de la lumière, qui se comporte à la fois comme une particule et comme une onde. Bien que les deux personnages interagissent entre eux, il ne s’agit pas d’une scène de genre, car chaque plan de l’œuvre peut appartenir à une temporalité différente. Les lieux, souvent le fruit de souvenirs, se juxtaposent pour créer des univers parallèles qui communiquent entre eux.

On retrouve cette élévation dans la pile de serviettes de plage colorée de Sylvie Wozniak, qui utilise des couleurs vives dans son travail depuis peu. Chez elle, la toile est bien plus qu’un support, elle devient sculpture. Parfois, elle met en situation ses peintures monumentales, permettant ainsi au spectateur de circuler parmi les œuvres. Artiste figurative, Sylvie Wozniak pratique aussi la danse. Elle entretient donc un lien particulier avec le corps qui constitue la base de son œuvre. L’artiste aime créer des portraits de grandes tailles afin de dépasser la limite de l’intimité. Face à ses dessins et ses peintures, le regard ne peut s’échapper. De cette manière, un jeu physique se crée avec le spectateur. Avec ces serviettes de bain d’Élévation bitextile (2023), on retrouve ce lien à l’intime, car elles sont en rapport direct avec le corps.

 

Young Moon, 2017, Philippe Fretz

Et si l’arc-en-ciel était une onde de bonheur ? Chez Malizia Moulin, artiste genevoise à l’univers poétique, il apparaît sous la forme d’écriture automatique. Quant à Stéphanie Prizreni, elle nous plonge dans des ondes hypnotiques rappelant les aurores boréales. Un phénomène céleste qu’on retrouve régulièrement dans le travail de Crystel Ceresa. Dans Mirage (2024), qui fait écho à de Levante Opal de Thierry Feuz, le spectre est concentré dans une forme ovaloïde, qui pourrait symboliser une entité qui ne demande qu’à naître. Chez Feuz, une fleur pailletée se dessine sur un dégradé chaleureux. Issue de la série Gulfstream, cette fleur aquatique semble appartenir à un ensemble de créatures bioluminescentes peuplant les abysses. Se déplaçant en banc, cette végétation imaginaire illumine des fonds unis entièrement réalisés avec de la laque. Il y a presque un côté stellaire dans ces compositions.

Cette perte de repères, on la retrouve chez Crystel Ceresa qui aime brouiller les pistes. Dernièrement, on a pu admirer ses Perseides, qui recouvreraient une bâche monumentale à la rue du Rhône, dont la perception nous entraîne à la fois dans un univers cosmique et océanique. A la Fonderie Kugler, c’est Nemorosa (2023) qui occupe l’espace. Ce tondo monumental de deux mètres de diamètre, réalisé à l’aérographe, nous émerveille avec ses tons délicats et son atmosphère vaporeuse.

 

Bisssextile, le spectre visible
A découvrir jusqu’au 6 octobre

Afterwork le vendredi 27 septembre de 18h30 à 22h00

Performance de Sylvie Wozniak le samedi 6 octobre à 16h

Avec : Xavier Bauer, Feriel Benalycherif, Christine Boillat, Gabriele Carrozzini, Crystel Ceresa, Marisa Cornejo, Cristina Da Silva, Miriam Da Silva, Igor Denegri, Mael Denegri, Ousmane Dia, Thierry Feuz, Ibrahim Findik, Catherine Fournier, Philippe Fretz, Nina Haab, Christian Humbert-Droz, Kristina Irobalieva, Harry Janka, Kadiata Kaba, Sébastien Mariot, Johanna Martins, Céline Mazzon, Isabelle Ménéan, Anouk-Eva Meyer, Fanny Modena, Maria Moschou, Malizia Moulin, Gabriel Mulvey, Luis Pinoleo, Ségolène Romier, Carolina Sargenti, Nina Schipoff, Yasmine Sidi Ali, Edgard Soares, Sarah Vermot Petit Outhenin, Eric Eriston Winarto, Sylvie Wozniak, Diane Yeterian

 

Nemorosa, 2023, Crystel Ceresa
Levante Opal, 2024, Therry feuz, Meteor 2, 2020, Crystel Ceresa

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