Esthétique meurtrière
Cet hiver, Alexandre d’Huy investit le sous-sol du campus Biotech. Entre explosions de pigments et grosses cylindrées militaires, il émane des œuvres du peintre montreuillois une puissance saisissante. A mille lieues des images sanglantes qui nous sont servies quotidiennement dans les médias, les toiles de l’artiste révèlent une toute autre esthétique de la guerre.
On ne pouvait pas trouver mieux comme emplacement pour cette exposition. Pour y accéder, on doit d’abord franchir une lourde porte anti-atomique. Tels des trésors cachés, les œuvres d’Alexandre d’Huy se lovent entre les tuyaux du couloir d’un bunker. Cette scénographie crée une proximité avec ces toiles grands formats, comme si elles se trouvaient chacune dans une alcôve. Le cadrage serré, accentuant la puissance de ces engins meurtriers, nous force à les regarder avec attention. On a presque l’impression qu’ils vont nous écraser. Mais d’ou vient cet appétence à vouloir représenter de tels véhicules? Le peintre ayant grandi en France n’a pas de lien particulier avec un pays en guerre, mais si l’on creuse un peu plus, on découvrira que son père était colonel. On comprend ainsi mieux cette obsession pour les blindés. De plus, un indice se trouve dans la prise de vue en contre-plongée, à hauteur d’enfant. On s’imagine alors que durant son enfance, l’artiste a du s’imprégner de cette ambiance martiale stricte régie par la hiérarchie, tout en gardant un regard extérieur. D’ailleurs, la manière si précise qu’il a de représenter ces camionnettes actuellement nous force à les observer différemment, comme si elles étaient sorties de leur contexte. En effet, ces images sont belles, pour ne pas dire magnifiques.
On retrouve cette esthétique dans ses dessins, où les éclats de terres venant d’exploser deviennent des splashs colorés abstraits. Ainsi, Alexandre d’Huy démontre le quotidien de gens pour qui la mission est de de tirer au sol depuis un avion. L’absence d’humain accentue le côté abscons de cette action. L’artiste reste factuel, et ne livre aucune critique ni discours théorique dans ses œuvres. Il ne cherche pas à donner une réponse, mais juste à nous questionner sur l’aspect séduisant de la guerre. Car en effet, si l’on dénombre la quantité de films et livres sur ce sujet, ont se retrouve vite face à des chiffres effrayants. Aussi triste soit-il, les conflits armés restent fascinants pour bien des hommes. Il faut dire que les jeux des petits garçons ont souvent pour thème les batailles, qu’elles soient médiévales ou futuristes. Il est d’ailleurs toujours curieux de décrypter les spots publicitaires pour enrôler les jeunes dans l’armée. On y retrouve toujours cette notion de jeu, les images sont séduisantes et on a l’impression que tout est contrôlé, ce qui est bien éloigné de la réalité malheureusement. Sorj Chalandon décrit bien cette fascination pour la guerre dans Le quatrième mur, où Georges, le personnage principal, a ce besoin viscéral de retourner au Liban, malgré qu’il ait été extradé en France.
Bien que l’artiste peint pour lui-même, sans se préoccuper de l’interaction qu’aura son œuvre avec le spectateur, on retrouve parfois, des éléments en lien avec l’actualité. Comme quoi notre environnement a toujours une influence sur nous et qu’il est difficile de rester totalement neutre concernant des sujets aussi sensibles. C’est le cas avec Ravages (2021), où l’on peut lire le nom des principaux laboratoires occidentaux producteurs du vaccin contre le SARS Cov 2 barrant la maille d’un Keffieh palestinien, barrant lui-même la route d’une camionnette israélienne. Mais là encore, Alexandre d’Huy nous livre son ressenti face à la situation actuelle, sans nous donner une réponse frontale. Ce qui continue de nous interroger sur l’absurdité de ce monde.
Campus Biotech
Chemin des Mines 9
1202 Genève
Sur rendez-vous uniquement, avec visites guidées proposées.
Jusqu’au 30 janvier 2022