L’art d’emballer

par 2 juin 2020Art contemporain

Des îles cernées de rose, des monuments emballés, il ne peut s’agir que de Christo. L’artiste nous a quitté le 31 mai dernier, laissant derrière lui une oeuvre époustouflante interagissant avec la nature et l’humanité. Avec leurs créations monumentales, Christo et Jeanne-Claude ont également emballé le monde!

Emballer pour révéler
Si l’on parle à Christo, on ne peut manquer d’évoquer ses monuments emballés. Emballer pour mieux dévoiler. En effet, l’action de cacher momentanément le Reichstag (1995) ou le Pont-Neuf (1985) a permis au public de mieux redécouvrir ces patrimoines urbain chargés d’histoire. Ces interventions durent en moyenne deux semaines. C’est en 1971 que les deux artiste commencent à esquisser leur projet d’emballer le Reichstag, alors qu’il était en pleine reconstruction. Il symbolise alors pour eux la réunification des deux Allemagne.

La volonté d’impressionner et de faire réagir les citadins fait partie intégrante du concept de leurs oeuvres. Il aura fallu 100’000 m2 de polypropylène argenté, 15 km de corde pour le Reichstag et 40’000 m2 de ce même tissu pour le Pont-Neuf. Les deux artistes ne se contentent pas de changer notre vision de l’environnement urbain, ils font participer le public avec The Floating Piers en 2016 sur le lac d’Iseo en Italie. Ce fut d’ailleurs la première grande installation depuis le décès de Jeanne-Claude. Les gens pouvaient se promener sur des plateformes flottantes recouvertes de tissus jaunes. Ce passage donnait accès à l’îlot de Loreto, donnant l’impression aux visiteurs de marcher sur l’eau. Faire remarquer ce que l’on a oublié est l’idée fondamentale des Surrounded Island en 1983. Les onze îles de la baie de Biscayne de Miami son encerclées de polypropylène rose. Ces îles servant de décharge d’ordure, qui se fondaient dans le paysage ne pouvaient ainsi plus passer inaperçues.

Bien que certains de leur travaux s’apparentent beaucoup au Land art, les deux artistes appartiennent au nouveau réalisme. Même les oeuvres installées dans les milieux naturels sont engagées politiquement. Ce fut le cas avec Running Fence en 1976. Cette barrière de 40 km de long, haute de 5 mètres, s’étend dans le désert Californien jusqu’à l’océan. Elle évoque la frontière territoriale, mais aussi la défense personnifiée ici par la grande muraille de Chine. D’ailleurs, ce projet a été installé le jour de la mort de Mao.

Surrounded Island,  1983

The Floating Piers, 2016

Même à un âge avancé, l’artiste est resté toujours autant actif. Durant la quarantaine de ce printemps dernier, il a donné une interview exclusive au Tate Modern de Londres. La rétrospective lui étant consacrée au centre Pompidou débutera finalement le premier juillet pour cause de Covid-19. Mais l’artiste à récemment confié qu’il n’aimait pas faire de rétrospective et qu’il préférait toujours faire de nouvelles choses. Pour preuve, une nouvelle oeuvre emballée devait voir le jour prochainement impliquant l’arc de Triomphe. Mais celle-ci est pour finir reportée à septembre 2021.

Mastaba London, 2018

 The Iron Curtain, 1962

Mastaba and Co
En octobre 2018, à Londres, on a pu admirer le London Mastaba, une impressionnante installation à Hyde Park. En effet, des milliers de barils de pétrole aux couleurs vives flottaient sur le lac Serpentine, formant une imposante pyramide tronquée. Christo et Jeanne-Claude n’en étaient pas à leur premier coup d’essai avec ce concept. C’est en octobre 1968 que Christo et Jeanne-Claude ont pu pour la première fois installer un monumental « mastaba » dans un lieu public. 1,240 Oil Barrels Mastaba, une structure temporaire composée de 1’240 barils de pétrole multicolors occupait alors presque tout l’espace dans l’atrium de l’Institut d’art contemporain de Philadelphie. Une œuvre si imposante que les visiteurs eurent de la peine à en faire le tour.

Cette création s’inscrivait dans la lignée de projets tels que Wall of Oil Barrels – The Iron Curtain (1962), un agencement de barils installés à travers la rue Visconti à Paris ayant pour but de bloquer la circulation en guise de protestation contre le Mur de Berlin. La situation d’alors insufflait un fort ressenti à Christo, lui-même originaire d’un pays communiste. En juin 1968, le couple avait essayé de barrer la 53ème rue de New York et d’emballer le MoMA dans le cadre de l’exposition sur le surréalisme et le Dada. Un projet refusé en raison d’un problèmes d’assurances du musée, malgré tous les efforts du Professeur William S. Rubin, alors curateur de l’institution. Il fallut attendre quelque mois pour voir naître un mastaba en Pennsylvanie.

A l’origine, un mastaba est un édifice quadrangulaire ayant vu le jour il y a 7’000 ans en Mésopotamie. Il est adopté par la suite en tant que lieu funéraire par les égyptiens. Utiliser des barils de pétrole pour concevoir un mastaba moderne ne semble donc pas anodin. Néanmoins, pour les deux artistes, ce choix aurait toujours été purement esthétique.

Reste-il une chance pour que le Mastaba d’Abu Dhabi composé de 400’000 barils voie le jour?

Mastaba Abu Dhabi, image de synthèse

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