Métro, boulot, chalumeau !
Chaque artiste à sa manière porte un message engagé grâce à son art, mais lorsque certains d’entre eux s’emparent de l’espace urbain, ce sont les insectes qui créent le code de la route et les pigeons qui volent la vedette aux personnages historiques ! De la précarité à la genèse de la signalétique, l’extérieur qui définit notre quotidien a bien plus à offrir que ce que l’on imagine. Zoom sur quatre plasticiens qui ont su nous faire voir la rue sous des angles inattendus.
Boulot
Qui dit rue, dit circulation. En 2019, Ismail Alaoui Fdili lance le concept de l’Université internationale de gardiennage de voiture. L’idée de créer cette startup fictive est née à Marrakech, lorsque l’artiste observait les gardiens de voiture, un petit boulot précaire très répandu au Maroc. Lors d’une discussion avec un de ses amis d’enfance qui venait d’ouvrir une startup, il prit conscience à quel point le fait d’exercer une profession dans le secteur tertiaire pouvait revaloriser une personne ou, par extension, comment quelque chose d’assez abstrait, voire d’incongru pouvait créer un sentiment de valeur. Un constat qui l’a mené à imaginer une école fantaisiste, où l’on pourrait apprendre virtuellement le gardiennage de voiture. A mi-chemin entre la performance et l’art digital, cette œuvre fonctionne entièrement de manière interactive. C’est le public qui lui donne vie. S’inspirant du livre de Bruno Munari, Supplemento al dizionario italiano, l’artiste a voulu faire la même chose avec des gestes marocains, créant ainsi un manuel et un site web, (https://www.uigv.org/) reprenant le ton des vidéos publicitaires des grandes universités de manière ironique.
Dodo
Lors des Jeux Olympiques de Paris, une foison de mobiliers inutiles s’est invitée dans les rues de Paris. Leur but : rendre inconfortable l’espace publique, afin que les personnes sans-abri ne puissent plus l’habiter ! Il y a quelques années, l’artiste suisse Daniel Ruggiero s’est emparé de ce sujet en réalisant une sculpture in situ avec des cactus lumineux destinée à être installée devant un établissement. Composée de néons verts, cette œuvre semble à priori ludique, alors que sa fonction originale est cynique. Il en va de même pour le dessin Cactus urbains (2022) aux tons délicats, représentant des faux cactus devant l’entrée d’un immeuble parisien. L’artiste explique qu’il existe même des bureaux de design spécialisés dans ce type d’agencement. Invité par la muséologue Elena Esen à la galerie Analix Forever, Daniel Ruggiero s’intéresse depuis toujours à la culture urbaine. Profondément engagé, il décortique notre espace public sous un angle sociologique, grâce à sa formation initiale en aménagement du territoire. Ce dernier devient son terrain de jeu où il s’amuse à détourner des objets fonctionnels en sculptures, leur insufflant un deuxième sens de lecture.
Aristo
Ce jeu de forme, on le retrouve chez Julien Berthier. L’artiste français joue avec les statues et modifie le mobilier urbain. En 2014, il installe des pigeons en bronze de manière temporaire sur des sculptures existantes. Avec cette série, Pigeonner, l’artiste chamboule notre rapport aux figures d’autrefois, qu’il s’agisse d’animaux, d’œuvres abstraites ou de personnages historiques. L’artiste aime greffer ses sculptures à des éléments existants. En 2008, sa sculpture Balcon additionnel s’intègre à des immeubles de logements sociaux. Elle fera même partie de la collection permanente du centre Pompidou. A sa façon, cette œuvre de facture classique apporte du glamour à des habitations purement fonctionnelles, ce qui souligne le manque de soin apporté à ce type de logement. De manière générale, les interventions urbaines de l’artiste consistent en une façon d’interpeller la politique de la ville.
Balcon additionnel, 2008, Julien Berthier
Signaux
L’artiste français basé à Genève Guillaume Martin-Taton crée une analogie entre la signalisation routière et le monde animal. L’aposématisme est la capacité qu’ont certaines espèces à émettre un signal d’avertissement visuel pour de potentiels prédateurs. L’artiste souligne l’influence de ce phénomène dans notre manière d’établir une signalétique. Cette accointance entre deux mondes que tout oppose, on la retrouve dans ses peintures murales, et dans les toiless Negative/Positive (2017), réalisées avec de la peinture de marquage antidérapante. Lors de leur accrochage à la National Art School Sydney, ces deux toiles côtoient d’autres éléments de mobilier urbain, comme si l’on se trouvait dans un “chantier graphique”. L’artiste poursuit l’expérience avec des symboles : il crée un langage personnel fonctionnant comme un alphabet. Mais c’est tout particulièrement dans Aposémaston (2022), que l’hybridation entre la faune et les constructions humaines est la plus significative. Ici, la voiture devient animal. La carrosserie est parée de peinture rappelant la punaise du chou, un fait amusant, car il y a ici une inversion des rôles: L’insecte devient puissant, il revêt l’exosquelette de l’un de ses ennemis.
Negative/Positive, installation à la National Art School Sydney, 2017, Guillaume Martin-Taton
Negative, 2017, Guillaume Martin-Taton
Université internationale de gardiennage de voiture,2019, Ismail Alaoui Fdili