Précieuses insertions
Feuilles d’or, poudre de diamant et encre noire, les ingrédients donnant naissance aux clichés de l’exposition Beyond Photography sonnent comme une incantation. Les oeuvres de Russell Young et Bill Claps éveillent en nous l’envie de succomber à la tentation du précieux.
Kate Moss #2 (2015)
La galerie Laurent Marthaler Contemporary consacre son exposition automnale à la photographie. Au menu: un univers pop et glamour et des paysage poétiques. Entre les deux artistes, un point commun: l’inclusion de métaux et de pierres précieuses à de l’encre créant un jeu de matières inattendu.
Icônes revisitées Russell Young prend possession des murs pour la première fois dans une galerie suisse romande. Parmi les oeuvres exposées, on découvre la fameuse photo de Kate Moss prise par la photographe Kate Garner pour le Vogue britannique en 1990. L’artiste s’approprie l’image en lui donnant un autre grain qui lui confère un sens plus suggestif que l’original. Le fait de s’approprier les images d’autrui pour leur donner un autre sens semble récurrent dans le pop art.
Né a York en 1959, l’artiste puise son inspiration dans l’iconographie glamour des magazines de mode, du rock’n’roll ou encore du cinéma. Ici, le rêve américain rencontre le crime et les addictions. Contrairement à Andy Warhol, l’artiste focalise plutôt son travail autour des personnes et non des objets. Il y a un côté plus sombre dans sa démarche. Les protagonistes de ses sérigraphies sont mis en situation de manière parfois un peu dérangeantes. Comme Keith Richards qui tient une bouteille de whisky dans sa main et Kate Moss âgée de 16 ans portant uniquement une petite culotte serrant dans ses bras un nounours. Le contraste entre la nudité et l’étreinte innocente est accentuée par le traitement que donne l’artiste à cette photo. Un contraste encore plus saisissant avec les photos de Keith Richards et Jackie Kennedy rehaussées de poudre de diamant, donnant par exemple un aspect un peu kitch à une prise de vue très virile. Habituellement, les strass et paillettes font plus partie de la garde robe de ”la brindille”.
Bien que le procédé de fabrication de ces portraits se prête à la production de masse, chaque cliché reste néanmoins rare, puisque seuls 3 exemplaires par couleur sont disponibles.
Keith Richards(2008)
Lotus Silhouettes, West Lake I, Positive (2019
Empreinte d’or Chez Bill Claps, le précieux se manifeste d’une autre manière. Dans une technique inventée par ses soins dont il garde jalousement le secret, l’artiste mélange l’or à l’encre, créant ainsi un noir aux reflets dorés iridescents. Cette tonalité ravive les paysages en noir et blanc du photographe. Habitué à faire le tour du monde plusieurs fois par année, Bill Claps aime capturer la végétation des lieux qu’il visite.
Dans une esthétique très épurée proche des estampes japonaises, certains arbres deviennent fantomatiques. D’ailleurs, le bord de chaque toile est soigneusement effiloché fil par fil, à l’image des toiles du pays du soleil levant. Sur un fond toujours blanc, les végétaux tracent des lignes noires créant ainsi une composition proche de l’abstraction. Dans Lotus Silhouettes, West Lake I, Positive (20199 et Lotus Silhouettes, West Lake III, Positive (2019), on peine à reconnaître les plantes aquatiques émergeant d’un lac artificiel. Le West Lake bordant la ville de Hangzhou en Chine est réputé pour ses lotus. Bill Claps les a capturés sur leur déclin. Les fleurs tracent ainsi des droites saccadées à l’image d’un tableau de Franz Kline. Leurs silhouettes en deviennent presque calligraphiques. Le manque d’horizon et le foisonnement des tiges esquissent des polygones évoquant le cycle de la vie perpétuel, mais aussi l’infini.
Chaque oeuvre de l’artiste est rehaussé d’une encre noir comprenant de l’or. La texture d’un élément de la photo se superpose sur cette dernière avec l’encre mordorée, comme une empreinte. Pour Majestic Oaks (2015), c’est l’écorce de l’arbre tandis que pour Huangshan Gorge (2018), c’est la texture de rochers. Il y a presque un côté métaphysique à cette démarche. Comme si une deuxième dimension viendrait confirmer la théorie des univers parallèles. Cette approche rappelle aussi l’hypothèse de la mémoire de l’eau de Jacques Benveniste où cette dernière garderait l’empreinte d’une substance avec laquelle elle aurait été en contact. Comme si une image fantomatique se serait créée dans le révélateur, matérialisant ainsi l’âme du sujet photographié.
Beyond Photography, à découvrir cet automne à la galerie Laurent Marthaler Contemporary