Résistant sur barbelé
Lorsque tout est sombre, l’artiste Abdul Rahman Katanani a le don d’entrevoir de la beauté à travers le voile de l’horreur. Il dresse dans son œuvre le portrait d’un peuple meurtri en utilisant des matières présentes dans son environnement. Quand les barbelés deviennent oliviers, l’espoir transcende la réalité.
De Sabra à Paris
L’artiste palestinien est né à Sabra en 1983, juste un an après le massacre de Sabra et Chatila. Ce camp de réfugiés palestiniens situé au sud de Beyrouth, il ne le quittera jamais totalement, puisqu’il y travaille toujours. Le fait de se trouver au cœur d’une vie difficile nourrit son intérêt à analyser le monde qui l’entoure et à s’informer, le poussant notamment à organiser une bibliothèque au sein du camp. C’est ainsi que Katanani utilise son environnement comme moteur de création. La majorité de ses œuvres sont réalisées avec des matériaux présents dans le camp, tels le barbelé, le bois, la tôle ondulée. D’ailleurs, ce choix crée un contraste saisissant avec les sujets des œuvres : ses oliviers, symbole de paix, mais qui n’ont pas de racines et dont les branchages sont en barbelés. Avec un matériau dont la connotation est négative, il crée une œuvre incarnant des valeurs de persévérance et de courage. Il transforme ainsi le laid et les ténèbres en beau, nous rappelant qu’il ne faut jamais baisser les bras et toujours garder espoir.
Guillaume Chamahian, 13 objets (Agrapheuse), 2020
La vita è bella
Une figure récurrente dans le travail d’Abdul Rahman Katanani est celle de l’enfant. L’artiste se dit fasciné par leur capacité à s’amuser avec presque rien. Surtout lorsqu’ils se trouvent dans un endroit difficile. Leur imagination n’a pas de limite. Katanani s’interroge également sur les raisons qui font que les adultes, le plus souvent, perdent cette formidable imagination. Les silhouettes de ”ses enfants”, composées de tôles ondulées brutes et de morceaux de barils colorés, rappellent le paysage urbain où sont logés les réfugiés. La tôle est découpée, sculptée, et avec ce matériau ingrat l’artiste réussit à donner une expression de douceur à ses enfants, saisissant ainsi la joie qui émane d’eux. Une joie qui probablement disparaîtra au fils des années, la rendant encore plus précieuse. Les jeux d’enfants dans des conditions si précaires rappellent notamment le film La vie est belle où le personnage principal, déporté dans un camp de la mort, fait croire à son fils qu’il participe à un jeu ayant pour but de gagner un char d’assaut. L’imagination rend parfois l’innommable plus supportable et nous permet de nous évader.
Prison mentale
Avec Why come back? Abdul Rahman Katanani nous parle de prisons mentales. Ce pigeonnier en tôle est similaire à ceux présents dans le camp. Tout comme les oiseaux sont libres de s’en échapper, les réfugiés de Sabra pourraient quitter le camp mais y restent attachés. Les détenus, trop souvent, après qu’ils sortent de prison, y retournent, comme s’il n’y avait pas d’autre lieu pour eux. Avec cette œuvre, on pourrait également établir un parallèle avec les femmes violentées, qui retournent pourtant « chez elles ». Comme quoi la peur de l’inconnu est parfois plus forte que le besoin de liberté, voire, de sécurité. Peut-on y voir une sorte de syndrome de Stockholm? Sans qu’il ne s’agisse nécessairement d’une situation extrêmement grave, chaque individu peut s’enfermer dans une prison mentale, ainsi nous pouvons tous projeter dans Why comme back, peu importe l’environnement dans lequel nous évoluons.
Le renouveau
L’exposition « Autoportrait total » dévoile aussi les croquis du nouveau projet d’Abdul Rahman Katanani : Chrysalides, des cocons en barbelé. Leur ouverture évoque une vulve, clin d’œil aux Vulves qu’il avait déjà réalisées en tôle et barils, leur donnant des allures de roses. Pour l’artiste, l’anatomie féminine fait entièrement partie du cycle de la vie. Ses Chrysalides, qui seront montrées notamment à la Quadriennale de Malbuisson en 2021, symbolisent le renouveau, nous prouvant que la vie doit continuer et que c’est grâce aux générations futures qu’un peuple continuera à exister.
Jusqu’au 24 août à la galerie Analix Forever
Le pigeonnier est visible en permanence
Rue du Gothard 10
1225 Chêne-Bourg
https://analixforever.com/
Chez Alain Bittar, à l’ICAM, des olivier et dessin sont exposé jusqu’à fin septembre.
Rue de Fribourg 5, 1201 Genève
022 731 84 40
https://www.icamge.ch/