Étendre le champ des possibles
L’artiste américaine Christina Quarles réinvente le corps, gardant l’essentiel, gommant son appartenance à un genre ou à un groupe ethnique. Dans un ballet de techniques mixtes, les protagonistes interagissent entre eux et créent une dynamique traduisant leurs émotions. Cette scénographie dépasse les limites des stéréotypes dans lesquels on enferme bien trop souvent les individus.
Sur de grandes toiles, des corps polymorphes s’imbriquent dans des décors composés d’aplats géométriques. Loin des protocoles habituels propres à la peinture classique, Christina Quarles commence par esquisser une silhouette avec de grands gestes, qu’elle interrompt en cours de création. Elle cherche à nous faire vivre une expérience corporelle, sans la représentation formelle de l’enveloppe charnelle. En arrêtant ainsi son geste, elle prend du recul et imagine la composition dans laquelle elle pourrait placer ce fragment de corps. Dans son œuvre, c’est la silhouette qui dicte son environnement, alors elle photographie le dessin qui a pris forme sur la toile et crée un décor sur Illustrator, qu’elle reproduira en sérigraphie.
Restin’, 2023
Ce procédé est assez inhabituel, car si l’on se réfère à la peinture classique, on s’attaque habituellement d’abord au décor, puis au sujet. Bien que l’artiste utilise la technologie, on assiste ici à un acte de création pur. Elle se sert de cette dernière comme d’un outil, qui survient au milieu du processus de création, chose assez rare si l’on observe les méthodologies de travail des artistes ayant étudié avec le numérique. De cette manière, l’artiste nous livre une image oscillant entre spontané et étudié. L’esquisse jetée agrémentée de peinture acrylique contrastant fortement avec la sérigraphie plus figée.
Dans un élan expressif, la gestuelle prend le dessus sur la représentation académique. Christina Quarles dépasse les limites du genre en représentant des personnages souvent asexués. Leur position traduit une tension entre les corps, parfois même une contrainte. Ils se soutiennent comme ils se repoussent, ce qui crée des chorégraphies à l’image des relations humaines. Ces corps fragmentés racontent des histoires à la fois intimes et poignantes. Le décor dans lequel ces derniers évoluent se compose de plusieurs plans la plupart du temps séparés. Cette fragmentation fait écho au monde numérique qui ponctue notre quotidien. Parmi les aplats de sérigraphie, l’artiste incorpore la plupart du temps un plan réalisé à l’acrylique représentant un ciel apportant une dimension plus onirique au tableau. Ces paysages imbriqués créent une fenêtre sur le monde par laquelle on peut s’évader.
Jusqu’au 29 octobre
Hauser & Wirth, Illa del Rei, Menorca
https://www.hauserwirth.com